Pourquoi la France avait quitté l’OTAN

Le 7 mars 1966, le général de Gaulle annonçait à son homologue américain, Lyndon Johnson, le retrait de la France de l’OTAN. Cette décision était l’aboutissement d’un long processus.

Quand de Gaulle revient au pouvoir en 1958, la situation de la France dans l’Alliance atlantique est paradoxale. Membre fondateur et même promoteur de cette union transatlantique, en raison de la faiblesse des États d’Europe occidentale face à la menace soviétique, la France en devient aussi le pivot puisque l’Organisation du traité de l’Atlantique nord implante ses centres politiques et militaires (SHAPE) et plusieurs bases aériennes en France dans les années 1950.

Les trois facteurs de divergence

Mais plusieurs facteurs amènent la IVe République à une réticence de plus en plus grade à l’égard de l’OTAN et des États-Unis. D’abord la décolonisation, à laquelle la France est confrontée en Indochine puis en Afrique du nord va tendre les rapports avec les Américains. Ceux-ci sont favorables à l’émancipation des peuples colonisés, par tradition historique et de crainte qu’ils ne basculent dans le camp communiste. Les Français reprochent aux Américains leur manque de solidarité et font remarquer que l’alliance devrait être globale et non limitée à la sphère atlantique.

Ensuite, les dirigeants français - qui ont souvent plié devant les demandes américaines - s’en irritent de plus en plus : les menaces de révision déchirante de l’alliance lors de l’affaire de la CED, les pressions au moment de la crise de Suez, les multiples interventions américaines dans la politique française sont autant de moments de tension transatlantique, d’autant plus que - et c’est le troisième facteur - la France entend, grâce à la reconstruction, recouvrer sa souveraineté, son statut de puissance et en acquérir le symbole : l’arme nucléaire, ce que les Américains lui refusent.

En 1958, toutes ces tensions sont portées au plus haut, en raison de la crise de Sakiet sidi Youssef [bombardement d’un village tunisien dans le contexte de la guerre d’Algérie] et des contentieux nucléaires : de Gaulle n’a pas inventé l’anti-américanisme, qui est prégnant dans l’opinion française. Il va le mettre au service d’une politique d’indépendance nationale, principalement tournée contre les Américains. Prenant acte de différents incidents de l’été 1958, de Gaulle synthétise dans le mémorandum de septembre 1958 les revendications françaises, qui se résument au fond à ce que la France soit associée à la direction du monde occidental sur le double plan politique et militaire.

La réaction des Anglo-Américains est plus que réticente : ils affirment ne pas vouloir mécontenter les autres alliés, ce point de vue justifiant une réponse dilatoire qui n’empêche pas d’ailleurs pas des conversations secrètes tripartites dans les années suivantes. Mais de Gaulle veut davantage : repoussant toute intégration nuisible à l’indépendance nationale et hostile à la stratégie de la riposte graduée que les Américains veulent adopter, il refuse l’installation sur le sol français de rampes de lancement de missiles américains et de stocks d’armes nucléaires pour les escadrilles américaines, ce qui entraîne le retrait progressif des chasseurs bombardiers des bases de l’OTAN en France et vide la coopération franco-américaine d’une partie de son sens.

Un enchaînement d’événements de portée durable

Même si les relations entre Paris et Washington ne sont pas mauvaises en permanence durant ces années-là, la décision de De Gaulle va s’appliquer inexorablement. En 1959, le processus commence par le retrait de la flotte française de Méditerranée du commandement intégré de l’OTAN ; il se poursuit par le retrait des mêmes forces de l’Atlantique nord en 1963. Après sa réélection lors des élections présidentielles de décembre 1965, le général de Gaulle fait prévoir, lors de sa conférence de presse du 21 février 1966, sa prochaine décision, qu’il explicite peu après dans une lettre manuscrite adressée au président Johnson, le 7 mars 1966 : « La France se propose de recouvrir sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté ..., de cesser sa participation aux commandements intégrés et de ne plus mettre ses forces à la disposition de l’OTAN ». La décision de 1966 marque la conclusion logique de tous ces désaccords : elle se traduit par le retrait simultané de France du commandement supérieur des forces alliées en Europe (SHAPE) et du commandement Centre-Europe, ainsi que le transfert hors de France de leur siège.

Les Alliés de l’OTAN réaffirment le 18 mars 1966 leur foi en une stratégie commune et en l’intégration. La France reste membre non seulement de l’Alliance atlantique proprement dite mais de l’OTAN. Elle n’est sortie que de la structure militaire intégrée de l’Organisation. Reste à régler la question de la coopération des forces françaises avec celles de l’OTAN , en particulier sur le théâtre centre-européen : c’est chose faite en août 1967 par les accords Ailleret-Lemnitzer, qui prévoient la coopération militaire française avec des forces de l’OTAN strictement sous ordre du gouvernement, non automatique, agissant sous commandement national ; etc. Si de Gaulle n’a pas réussi à transformer l’OTAN, qui sort même renforcée de la crise, le retrait de la France est devenu un véritable marqueur de la politique étrangère de la France, au point que les velléités des successeurs de De Gaulle d’un retour dans l’OTAN ont toutes été freinées et n’ont, jusqu’ici, pas abouti.

 Maurice Vaïsse est professeur des universités, éditeur des Documents diplomatiques français. Son dernier ouvrage : La puissance ou l’influence ? La France dans le monde depuis 1958 , chez Fayard.