Pourquoi les Occidentaux n’interviennent pas

Le mouvement de protestation se poursuit en Syrie malgré la répression décidée par le régime du président Bachar el Assad qui semble miser sur une solution militaire. Les Occidentaux cherchent à faire pression sur les dirigeants syriens mais hésitent sur les moyens à employer. En visite à Rome, Nicolas Sarkozy a déclaré, le mardi 26 avril, que la situation en Syrie était "inacceptable".

Des centaines de morts et de blessés. La police tire à balles réelles sur les manifestants. L’armée intervient avec des chars dans la ville de Deraa pour disperser les cortèges. On ne compte plus les « disparus ». En matière de répression, la Syrie de Bachar el Assad n’a rien à envier à la Libye de Kadhafi. De la Tripolitaine à la Cyrénaïque, l’OTAN bombarde les installations du Guide libyen, pour protéger la population civile. A Damas et dans les villes syriennes en état de siège, la population civile est abandonnée à elle-même. La communauté internationale est muette ou presque. Nicolas Sarkozy avait pourtant averti que l’intervention en Libye était un avant-goût de ce qui attendait les autocrates du monde entier s’ils s’en prenaient à leur propre peuple. On commence à peine à parler de sanctions et encore ne se risque-t-on pas, à ce stade, à envisager une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU par crainte d’un veto russe et/ou chinois. Mais ce n’est pas la seule raison qui explique la prudence internationale et occidentale dans la crise syrienne.

Bien en cour

Comme Kadhafi naguère, Bachar el Assad était courtisé à des degrés divers par les chancelleries occidentales. Jacques Chirac qui avait de bonnes relations avec Hafez el Assad, le père du président syrien – il avait été le seul chef d’Etat occidental à assister à ses funérailles – avait pris le jeune Bachar sous sa protection. Bien que manquant d’expérience politique, celui-ci n’avait pas montré la reconnaissance que le président français se croyait en droit d’attendre. Les rapports, tendus, étaient devenus carrément exécrables après l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafik Hariri, un ami de Jacques Chirac. Les services syriens très actifs au Liban sont soupçonnés d’avoir trempé dans l’attentat.

En adepte de la « rupture », Nicolas Sarkozy a rompu avec l’ostracisme dans lequel son prédécesseur tenait la Syrie de Bachar el Assad. Considérant, à juste titre, que Damas était un acteur influent au Proche-Orient, il a renoué les liens avec la Syrie. Le président syrien est venu à plusieurs reprises à Paris et a même été l’invité d’honneur d’un 14 juillet.

Si George W. Bush était d’accord avec Jacques Chirac concernant l’attitude vis-à-vis de Damas, Barack Obama n’a pas totalement emboité le pas à Nicolas Sarkozy. Il n’en a pas moins rétabli des canaux officiels avec la Syrie, à cause du poids de ce pays dans la région. Bachar el Assad était lui aussi en train de regagner une forme de respectabilité quand il a été atteint par la vague de révolte dans le monde arabe.

Un acteur central

Les Occidentaux doivent donc, une nouvelle fois, repenser leur politique vis-à-vis de la Syrie. C’est plus difficile qu’en Lybie. La Syrie est en effet un élément majeur de la stabilité au Moyen-Orient. Certes, contrairement à l’Egypte ou à la Jordanie, elle n’a pas signé de traité de paix avec Israël. Mais depuis des décennies règne une sorte de paix armée à la frontière israélo-syrienne qui apparait comme un moindre mal. Inversement, les Syriens ont, dans la région, un pouvoir de nuisance qui en fait des interlocuteurs à ne pas négliger. Même après avoir quitté le Liban, ils conservent des moyens d’actions directs et indirects dans le pays du Cèdre, notamment par l’intermédiaire du Hezbollah. Ils ont aussi une influence sur le Hamas qui règne sur Gaza contre l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas et dont le principal dirigeant se trouve à Damas.

Dans ses relations avec le Hezbollah et le Hamas, la Syrie se retrouve avec l’Iran dans une relation à la fois de complicité et de compétition. Cette ambivalence complique encore la politique occidentale vis-à-vis de Damas. La Syrie est à la fois le seul pays de la région allié de Téhéran et un concurrent potentiel qui, s’il venait à s’affaiblir, laisserait l’Iran des mollahs en position hégémonique.

Bachar el Assad est ainsi au centre d’un réseau de relations avec Israël, le Liban le Hezbollah, le Hamas, l’Iran… qui lui confère une position stratégique sans comparaison dans la région. Plus importante que celle de l’Egypte et sans commune mesure avec celle de la Libye.

Deux poids, deux mesures ? L’attentisme en Syrie ne condamne pas l’intervention en Libye. Celle-ci doit être jugée sur ses mérites – ou ses défauts – propres. Toutefois, il montre les limites de cette « responsabilité de protéger » inscrite dans la Charte des Nations unies et invoquée par la coalition qui bombarde en Libye. La communauté internationale, ou ceux qui la représentent, ne peut pas intervenir partout où des vies humaines sont mises en danger par des régimes tyranniques. Cela ne veut pas dire qu’elle ne doit pas intervenir où et quand elle le peut. Mais elle devrait se contenter d’invoquer des raisons contingentes plutôt que de se draper dans des principes généreux qu’elle n’est pas en mesure de respecter.