Les autorités russes ont vis-à-vis de la crise financière et économique internationale une attitude ambivalente, révélatrice de l’impasse dans laquelle elles se trouvent. D’une part, elles nient l’existence de conséquences de la crise pour la Russie et les Russes. Les médias officiels – et il n’y en reste guère d’autres – ont reçu pour consigne de ne pas employer les termes de « crise » et de tout faire comme si elle était une manifestation strictement occidentale. D’autre part, elles ne peuvent pas ne pas en prendre en compte les effets de ce que Vladimir Poutine présente comme une « catastrophe naturelle » provoquée par l’incurie de l’Amérique.
La rente énergétique en question
La Bourse de Moscou a chuté comme ses consoeurs. Le gouvernement a dû puiser dans les réserves de la Banque centrale pour éviter un effondrement du rouble. Les recettes publiques essentiellement dépendantes des ressources énergétiques sont en baisse à cause de la chute des prix du pétrole. Les oligarques, qui ont la même source de richesses, « souffrent » (les vingt-cinq plus riches auraient déjà perdu 230 milliards de dollars depuis le début de la crise).
L’équilibre économique est fondé sur un prix moyen du pétrole de 70 $ pour un baril. S’il reste autour de 50 $, une augmentation massive du chômage menace avec une baisse de la croissance (4% au lieu de 8% ces dernières années). Poutine devra revoir ses objectifs et c’est là que l’heure de vérité pour le régime installé depuis le début des années 2000 pourrait sonner.
Les trois piliers du consensus social
Le consensus social repose en effet sur trois piliers : le rétablissement de l’ordre, une certaine forme de prospérité et le retour de la Russie comme puissance. Le premier objectif est largement atteint, grâce à ce que l’idéologue du régime, Alexandre Soukrov, appelle la « verticale du pouvoir », c’est-à-dire une construction institutionnelle où tout part du pouvoir central et tout remonte vers lui –présidentiel quand Poutine était président, gouvernemental depuis qu’il est premier ministre. Les corps intermédiaires qui avaient commencé à prendre leur autonomie sous Eltsine, ont été supprimés ou mis au pas. Aucun contre-pouvoir n’est toléré, qu’il s’agisse de la presse, de la justice, des associations non-gouvernementales. Il y a pourtant un domaine où le pouvoir a connu un échec : c’est celui de la lutte contre la corruption, toujours affichée comme ambition, alors que la prévarication, les pots de vin et le népotisme sont en progression constante.
Le recul des libertés a été accepté par les Russes qui avaient goûté à un semblant de transition démocratique dans les années 1990. Ils ont accepté ce recul comme le prix à payer pour la stabilisation de la situation économique puis la croissance des revenus. De nouveaux oligarches, liés au pouvoir, un embryon de classe moyenne ainsi que les fonctionnaires et les retraités ont profité à des degrés divers des largesses d’un Etat alimenté par les rentrées engendrées par le pétrole et le gaz. Aucun n’est prêt à y renoncer au nom du pluralisme politique.
Le troisième ingrédient qui cimente le régime poutinien est également lié, en partie, aux ressources énergétiques. La Russie a utilisé l’arme du pétrole et du gaz pour faire valoir ce qu’elle considère comme ses intérêts et ses droits dans les relations internationales. Au-delà du prétexte fourni par la situation en Ossétie du sud, la guerre avec la Géorgie est un épisode de ce retour en force.
Capitalisme dirigé
La même politique, intérieure et extérieure, peut-elle se poursuivre dans un contexte où le principal moteur du système manquerait de carburant ? La réponse est clairement négative. Vladimir Poutine l’a compris qui vient d’annoncer un nouveau tour de vis politique – sous le vocable « renforcement de la responsabilité » des cadres —, et un renforcement du capitalisme d’Etat, avec une gestion administrative des grands conglomérats et un contrôle des petites et moyennes entreprises. Les Russes qui ont de l’argent sont invités à investir en Russie, sur une base « volontaire », a déclaré, sans rire, Poutine en présidant le congrès du parti Russie unie auquel il n’appartient pas.
Ce capitalisme dirigé est censé permettre à l’Etat de remplir son rôle social, donc de parer à toute manifestation de mécontentement populaire. Il est cependant contraire à une ouverture de la Russie sur l’économie mondiale, sans la mettre à l’abri des soubresauts de cette dernière tout en la privant des importations de capitaux et de technologie moderne qui lui manquent cruellement. En aggravant les traits dominant de l’économie russe, Poutine mène une politique à courte vue, tourne le dos à un véritable développement de son pays sans même être certain de s’assurer les bienfaits d’une croissance immédiate. L’autre voie, fondée sur des réformes libérales, incarnée parfois par le président Dmitri Medvedev, est de toute évidence bouchée.