Poutine le mal élu

Même s’il a été réélu au premier tour de l’élection présidentielle du 4 mars, Vladimir Poutine se heurte désormais à une opposition résolue, qui s’exprime massivement dans la rue et continuera à se battre pour une alternance démocratique.

 Cinq candidats solliciteront le 4 mars les suffrages des électeurs russes pour accéder à la fonction de président de la République. Face au premier ministre, Vladimir Poutine, ancien président qui aspire à le redevenir, se présentent deux vieux routiers de la politique russe, le communiste Guennadi Ziouganov et le nationaliste Vladimir Jirinovski, ainsi que deux « divers droite » entrés plus récemment en politique, le richissime homme d’affaires Mikhaïl Prokhorov et le chef de file de Russie juste Sergueï Mironov. Les sondages attribuent environ 50 % des intentions de vote à Vladimir Poutine, loin devant ses quatre concurrents. La seule question en suspens est de savoir s’il sera élu dès le premier tour ou s’il devra attendre le second.

 Il faut dire que les candidats de la gauche libérale, à commencer par Grigori Iavlinski, dirigeant de Iabloko, ont été écartés de la course sous divers prétextes, laissant le champ libre à ceux qui ne menacent pas vraiment le pouvoir de Vladimir Poutine. « Le régime ne se donne plus la peine de sauver les apparences de la démocratie », souligne la politologue Marie Mendras, spécialiste de la Russie. Les élections législatives de décembre 2011, marquées par une fraude massive au bénéfice du parti de Vladimir Poutine, Russie unie, jettent le doute sur la régularité du scrutin présidentiel. « Les élections sont devenues un instrument dangereux pour le pouvoir », ajoute la politologue.

 Contre le « système Poutine »
 
 Invité d’un colloque organisé le 15 février à Sciences-Po par Marie Mendras, le journaliste russe Mikhaïl Sokolov, qui a étudié de près les résultats des législatives, estime que le score de Russie unie a été rehaussé par la fraude de plus de 17 %. Le parti de Vladimir Poutine a ainsi obtenu officiellement 49,32 % des suffrages contre 19,19 % au Parti communiste de Guennadi Ziouganov, 13,4 % à Russie juste de Sergueï Mironov, 11,67 % au Parti libéral-démocrate de Vladimir Jirinovski. Mais la véritable opposition, celle qui manifeste aujourd’hui dans les rues et qui refuse le « système Poutine », a été, une fois de plus, tenue à l’écart. Ce sont en effet les partis de la gauche libérale, comme celui de Grigori Iavlinski, qui ont été les principales victimes de ce « vol de voix », affirme Mikhaïl Sokolov.

 Quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle, la contestation qui s’exprime de plus en plus massivement depuis plusieurs mois ne va pas prendre fin. « Mars sera chaud », avertit Ilya Iashine, autre invité du colloque, responsable de Solidarnost, un des partis de la gauche libérale. Selon lui, le pouvoir a perdu tout crédit auprès de la population. Une société civile s’est formée, qui n’accepte plus le contrat social informel aux termes duquel elle consentait à « une certaine limitation des libertés démocratiques » en échange d’un certain bien-être matériel. La « génération Facebook », dit-il, entend participer désormais à l’exercice du pouvoir, elle rejette le pouvoir personnel de Vladimir Poutine.

 Une méthode humiliante

 « Le système Poutine a de plus en plus de mal à rassembler », explique Marie Mendras, qui ajoute : « Les Russes sont de plus en plus nombreux à comprendre que le problème est devenu le système Poutine et peut-être Poutine lui-même ». Les protestations se sont multipliées depuis le début des années 2000. Elles ont pris une ampleur particulière après l’annonce de la candidature de Vladimir Poutine en septembre 2011. Les Russes ont été choqués par l’échange de postes entre Vladimir Poutine et Dimitri Medvedev l’un redevenant président, l’autre premier ministre. La désinvolture de la méthode a été jugée humiliante, selon Marie Mendras. « Poutine et les hommes qui l’entourent ont perdu le sens des réalités et multiplié les erreurs », écrit-elle dans la revue Esprit (janvier 2012).

 Le premier ministre et futur président a choisi de traiter ses opposants par le mépris, voire par la provocation. Il les a brocardés, menacés, insultés, les qualifiant de « petits singes » ou comparant leurs petits rubans blancs à des préservatifs. Il a organisé des contre-manifestations en usant de l’intimidation ou de la corruption. « L’équipe Poutine a été aveuglée par sa trop grande assurance », affirme Marie Mendras. Le premier ministre russe subit le contrecoup de cet aveuglement. Les dirigeants ont été pris à leur propre piège. « A trop sous-estimer la société civile et l’opposition, ce qui devait être un rituel est devenu le grand moment du retour du politique », conclut Marie Mendras. Ilya Iashine en est certain, la crise politique ne fait que commencer.