Staline a au moins un mérite que nous, Européens de l’Ouest, pouvons lui reconnaitre. En s’emparant de l’Europe centrale et laissant planer la menace d’une avancée du « camp socialiste » en direction de l’Atlantique, il a poussé à l’unification de l’Europe. Avec Jean Monnet, Staline est le père putatif du Marché commun, ancêtre de l’Union européenne.
Son lointain successeur à Moscou, Vladimir Poutine, jouera-t-il le même rôle ? En remettant en cause l’ordre de l’après-guerre froide, en annexant par la force un territoire qui appartient à un autre Etat et en avouant ses visées sur toutes les terres étrangères où vivent des Russes ou des russophones, le président russe poussera-t-il les Européens à approfondir leur union ? Ou bien le chantage au gaz voire l’utilisation ouverte de la force à laquelle les Européens refusent à juste titre de recourir en Ukraine, les conduiront-ils sur les chemins d’une politique de l’apaisement ? Ce serait le plus petit dénominateur commun des vingt-huit Etats membres de l’UE. Leur situation économique, leurs traditions, leur histoire et leur position géographique différentes ne les incitent pas à avoir spontanément la même analyse et donc la même réaction à la politique révisionniste de Vladimir Poutine.
C’est l’hypothèse pessimiste. Les Vingt-huit se pressant à Moscou en ordre dispersé pour essayer de « limiter les dégâts » face à une Russie de plus en plus agressive, au gré des intérêts égoïstes des uns et des autres.
Mais il y a une hypothèse plus optimiste. La pression russe pourrait accélérer la mise en œuvre des politiques communes dont on parle à Bruxelles depuis des décennies sans être en mesure de les réaliser. Citons-en trois. Pour que certains Etats européens échappent à une dépendance parfois totale par rapport à la Russie pour leur approvisionnement en gaz et en pétrole, une politique commune de l’énergie est une nécessité. Elle est difficile à concevoir tellement sont différentes les situations nationales. Certains Etats reçoivent 100% de leur consommation de gaz et de pétrole de Moscou. Pour d’autres c’est près de la moitié. D’autres encore ont parié sur l’énergie nucléaire tandis que l’Allemagne, par exemple, aura fermé toutes ses centrales en 2020. Toutefois, seule une stratégie commune aurait permis à l’UE d’envisager des sanctions douloureuses contre la Russie poutinienne dans une crise analogue à celle qui secoue aujourd’hui la Russie.
Deuxième politique commune indispensable : la politique étrangère et son corollaire la politique de sécurité. Des progrès ont été accomplis au cours des dernières années, depuis le traité de Lisbonne notamment. Avec le Haut représentant pour la politique étrangère et son Service européen d’action extérieure (SEAE), le verre de la diplomatie européenne est autant à moitié plein qu’à moitié vide. Pourtant, la mise au point d’une position commune face à des événements inattendus est toujours aussi laborieuse et cette position est souvent d’une telle prudence qu’elle n’effraie personne, y compris ceux qu’elle devrait impressionner.
La politique européenne de défense est encore plus embryonnaire. Les Européens dépensent de moins en moins pour leur sécurité extérieure en pensant que depuis la fin de l’URSS la paix est assurée. La crise ukrainienne peut les réveiller. Mais il ne s’agit pas seulement de dépenser plus. Il faut dépenser mieux, en avoir plus pour son argent, mutualiser les moyens et mettre fin à ce paradoxe : dans son ensemble, l’UE a plus de deux millions d’hommes sous les drapeaux mais est incapable – si tant est qu’elle le veuille – d’envoyer 1000 soldats en Centrafrique !
Poutine s’est emparé de la Crimée. Il suscite des troubles dans l’est de l’Ukraine pour avoir à Kiev un gouvernement à ses ordres. Il ne cache pas son ambition de reconstituer une sorte d’Union soviétique autour de la Russie. Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, le réveil est brutal pour les Européens. Il peut être salutaire