Prendre le risque d’armer les rebelles syriens

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Faut-il ou non livrer des armes aux rebelles syriens ? Les Occidentaux, Européens et Américains, n’ont pas trouvé de réponse à ce dilemme. Les protestations contre le régime de Bachar el-Assad, commencées de manière pacifique il y a maintenant plus de deux ans, se sont transformées en un conflit qui a fait plus de 70 000 morts. Les insurgés se sont emparés d’une portion du territoire syrien mais ne semblent pas en mesure de renverser le dictateur de Damas. Il n’y a pas plus de solution politique que d’issue militaire. Pendant ce temps, les avions, les hélicoptères et les chars de Bachar continuent de tirer sur les populations civiles qui sont comme souvent dans ces circonstances les principales victimes.

Les Occidentaux respectent un embargo sur les armes à destination de la Syrie. Cette décision pénalise d’abord les adversaires du régime qui continue, lui, de bénéficier des livraisons russes et iraniennes. C’est pourquoi plusieurs arguments militent en faveur d’une levée de cet embargo. C’est la thèse qu’a plaidée François Hollande devant ses partenaires européens au cours du dernier conseil du mois de mars. Si l’opposition syrienne disposait d’armes antichars et antiaériennes, elle ne serait sans doute pas en mesure de changer fondamentalement le rapport des forces et de chasser Bachar el-Assad. Mais elle pourrait au moins gêner considérablement les raids de l’aviation.

D’autre part, la levée de l’embargo à destination des rebelles constituerait un signal politique à l’adresse de l’Armée syrienne libre (ASL) et de l’opposition modérée. Celles-ci sont de plus en plus concurrencées par les groupes djihadistes qui reçoivent des armes, directement ou indirectement, de la part des monarchies pétrolières sunnites, et qui dénoncent les tentatives de dialogue. La radicalisation croissante de la rébellion, encouragée par l’absence de perspective politique, favorise les forces extrémistes et fondamentalistes. Hostiles à l’Occident, celles-ci considèrent que la guerre ne sera pas terminée avec l’éventuel départ de Bachar el-Assad mais qu’elle devra continuer jusqu’à la victoire de l’islam.

Quand il envisageait la levée de l’embargo, y compris sans l’accord de tous ses partenaires européens, à l’exception de la Grande-Bretagne, François Hollande assurait qu’il était possible de contrôler la destination des armes ainsi acheminées. Il ne parait plus aussi sûr. Entretemps, la situation de l’opposition a changé. Le président du Conseil national syrien, le cheik Moaz el-Khatib, a démissionné. L’opposition étale ses divisions entre laïques, modérés, islamistes. Les arguments des opposants à des livraisons d’armes s’en sont trouvés renforcés. Il est impossible, disent-ils, d’empêcher que les armes ne viennent renforcer les djihadistes et leur donner un avantage supplémentaire sur les modérés. Les extrémistes seront d’ailleurs tentés de stocker ces armes en prévision de la « vraie » guerre civile qu’ils préparent après la chute d’Assad. Le précédent afghan constitue un avertissement : les armes livrées aux talibans pendant l’occupation soviétique ont été retournées contre les Occidentaux et leurs alliés. Barack Obama, qui se montre très prudent en Syrie, ne l’a pas oublié.

La levée de l’embargo risque en outre de braquer un peu plus la Russie et la Chine, qui dénoncent sans vergogne une violation du droit international. Or il n’y a pas d’espoir de solution politique sans Moscou et Pékin. Avec eux non plus, pourrait-on rétorquer.

L’impasse est totale. La morale – le renversement d’un dictateur – et le réalisme – la crainte de la radicalisation d’une opposition abandonnée à elle-même – plaident pour la fourniture contrôlée d’armes. A contrario, l’expérience engage à la prudence. Les Occidentaux ont sans doute trop tergiversé pour que la décision qu’ils prendront ne soit pas chargée de gros risques. Quoi qu’il arrive.