Puissance et leadership : une voie étroite pour Obama

La redistribution de la puissance dans le système international était au cœur de la 8ème conférence de l’IISS (International Institute for Strategic Studies) de Londres, qui s’est tenue à Genève du 10 au 12 septembre. Comment la diplomatie américaine peut-elle gérer une nouvelle configuration où les puissances émergentes réclament la reconnaissance de leur place, où la position hégémonique des Etats-Unis est contestée à l’extérieur comme à l’intérieur mais où aucun leadership de remplacement n’apparaît ?

 

Replis, recalibrage, redistribution : les mots ne manquent pas pour tenter de définir la « nouvelle » politique extérieure américaine, déterminée à la fois par l’analyse que le président Obama fait de la situation internationale, la volonté de changement après les deux mandats de George W. Bush, l’expérience calamiteuse des guerres d’Irak et d’Afghanistan, et enfin la crise financière et économique qui réduit les moyens de l’Amérique. Il ne s’agit toutefois pas d’une « retraite » loin des affaires du monde. Si une phase de la diplomatie américaine qu’on pourrait qualifier de « wilsonienne » est terminée — le politologue Pierre Hassner parlait de « wilsonisme botté » à propos de la politique des néoconservateurs —, les Etats-Unis ne vont pas pour autant (re)tomber dans l’isolationnisme.

Paraphrasant un récent discours de la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, son adjoint, James Steinberg, a insisté sur la nécessité de maintenir une forme de leadership américain dans le monde. Ne serait-ce que parce qu’il n’y a aucune autre puissance en mesure de remplacer les Etats-Unis dans ce rôle, comme l’avait aussi souligné la veille, à l’occasion de la même conférence, Henry Kissinger, l’ancien secrétaire d’Etat des présidents Nixon et Ford dans les années 1970. Toutefois, si les Etats-Unis restent la « nation indispensable » (Madeleine Albright), ils ne peuvent pas prétendre résoudre tous les problèmes et les résoudre seuls. James Steinberg a énuméré trois principes : un leadership en partenariat avec les alliés traditionnels ; de nouvelles relations avec les puissances émergentes ; le recours aux institutions internationales et régionales. Autrement dit, le leadership américain devrait s’exercer plus par la coopération que par la persuasion – comme au temps de Clinton-, ou par la contrainte, comme au temps de George W. Bush.

Ce redimensionnement de la politique étrangère américaine devrait trouver son expression en Afghanistan. Les Américains ont abandonné l’idée de transformer ce pays en une démocratie de type occidental et d’en revenir au premier objectif de l’opération, à savoir l’élimination d’Al Qaida. Si tel est bien le cas, la mission est, selon les experts, pratiquement terminée. Si le but est d’empêcher le retour des talibans au pouvoir, l’intervention internationale est toujours nécessaire mais il n’est pas sûr que sous le vocable « un Afghanistan gouvernable » ne se cache pas la simple volonté de laisser les Afghans se débrouiller tous seuls. Comme le remarquait la semaine dernière le professeur Andrew Bacevich sur le site The New Republic, l’expression « il n’y a pas de solution militaire », signifie la renonciation à toute idée de victoire. L’absence de défaite – la défaite étant elle-même inimaginable – tiendra lieu de succès.

La question est de savoir si ce recalibrage, de quelque nom qu’on l’affuble, est le résultat d’un choix philosophique de Barack Obama ou d’une contrainte extérieure, économique, stratégique ou autre. Les conséquences pour les Etats-Unis ne sont pas les mêmes. Un ancien diplomate américain ayant servi plusieurs administrations faisait justement remarquer que malgré les divisions de l’opinion pendant la guerre du Vietnam, Richard Nixon et Henry Kissinger avaient réussi à mettre en œuvre la politique de détente avec l’URSS, à établir des relations diplomatiques avec la Chine populaire et à renouer avec le monde arabe. Le contexte économique et les divisions de politique intérieure n’étaient pas particulièrement favorables mais une politique étrangère audacieuse dépend aussi et surtout de l’idée qu’on s’en fait. Depuis son arrivée à la Maison blanche, Barack Obama a prononcé de magnifiques discours. Il lui reste à apporter la preuve qu’il a une conception de la politique étrangère américaine et qu’il est en mesure de l’inscrire dans les faits.