Qu’attendre du G20 ?

A l’approche du sommet du G20 qui doit avoir lieu le 2 avril à Londres, les économies mondiales s’enfoncent dans la crise. Au-delà de tous les chantiers en cours (financement de la relance, réforme des systèmes bancaires, régulation du système financier, réforme des institutions financières internationales), l’enjeu du marché des changes est sans doute à la fois le plus négligé et le plus important.

Le G20 a été créé récemment, en 1999, après la crise asiatique, et ne s’est finalement réuni que peu de fois. Il a été à nouveau convoqué en tant que tel, à Washington, en novembre 2008, juste après la crise déclenchée par la faillite de Lehmann Brothers. Et à l’époque, les membres du G20 avaient trouvé un accord sur une feuille de route assez détaillée, qui devait déboucher sur une réunion à Londres au mois d’avril 2009. 

Cette feuille de route comportait quatre grands chantiers :

1) financer la relance,

2) restaurer le système bancaire,

3) renforcer la régulation financière, et

4) réformer les institutions financières.

Pour des raisons évidentes, les progrès sur chacun de ces quatre grands chapitres n’ont pas été homogènes. Opérer à 20, avec des Etats, des institutions nationales et internationales comme le FMI, les Banques Centrales, l’Union Européenne, les Etats-Unis, le Japon, les grands pays émergents n’est ni simple ni facile, surtout quand on sait qu’à l’intérieur même de la représentation européenne persistent des divergences importantes tant sur la régulation que sur la relance, voire même sur la réforme des institutions financières. Donc, derrière ce terme de G20 se cache en fait un groupe bien plus important, et il faudrait plutôt parler de G47, les 20 membres plus les 27 de l’Union Européenne.

Divergences transatlantiques sur la relance

Les évolutions sur chacun de ces chantiers sont donc très différentes. Pour le financement de la relance, on voit bien que les points de vue des Américains et des Européens restent divergents, bien que des progrès aient été faits, tant en terme d’adoption des relances fiscales aux Etats-Unis mais aussi en Europe, et surtout, et on ne le souligne jamais assez, dans les pays émergents, et en particulier en Chine où un plan de relance extrêmement ambitieux a été adopté. IL ne faut sans doute pas attendre davantage de ce premier chapitre. Des points de vue seront échangés, confrontés, mais on ne peut pas attendre de concertation ou d’avancée significative sur le plan du financement de la relance.

Banques : leçons non apprises du Japon

Sur le deuxième chapitre, la restauration des systèmes bancaires, on peut dire que peu de progrès ont été faits, et c’est regrettable. On voit bien que jusqu’à présent, l’approche américaine en particulier est restée une approche au cas par cas. On a répété ce qui constituait pourtant le problème dans l’expérience japonaise des années 90, c’est à dire qu’au lieu de prendre le problème à bras le corps et de mettre en place des mesures, qui auraient été certes extrêmement innovantes, telles que nationalisations partielles, création d’une structure de défaisance, (ce qu’on appelle aussi une « bad bank »), au lieu de cela, les Japonais ont pendant de nombreuses années soutenu leurs banques à bout de bras, acceptant qu’elles se présentent l’une après l’autre pour obtenir des fonds supplémentaires sans jamais prendre de véritables mesures systémiques. Pour l’instant, (au jour où nous écrivons tout au moins), il semble que les Etats-Unis ne soient pas encore parvenus à une approche plus globale. Et tant que cette approche globale n’aura pas été adoptée aux Etats-Unis, d’où vient le problème au départ, on peut craindre que le système bancaire mondial (qui dépend essentiellement des progrès réalisés aux Etats-Unis) ne reste extrêmement fragile.

Distinguer entre décisions médiatiques et mesures efficaces

C’est sur le chapitre de la régulation financière qu’on peut attendre du G20 les progrès les plus importants. Et au lendemain du G20, au lendemain de ce premier week end d’avril, il faudra bien distinguer entre les progrès réels, qui devraient porter sur une plus grande réglementation des marchés des dérivés de crédit, une plus grande capacité contre-cyclique des révisions bancaires, une mise en place d’un code de bonne conduite en matière de rémunérations, l’enregistrement des agences de notation, la liste est longue…… Mais sur ces sujets, nous devrions voir un certain nombre d’avancées. Restons cependant vigilants pour que ces avancées réelles ne soient pas éclipsées au profit de décisions plus spectaculaires sur le plan médiatique mais bien moins efficaces dans la résolution de la crise actuelle. Exemple : la réglementation concernant les paradis fiscaux. Non pas qu’il faille défendre les paradis fiscaux, mais il ne faut pas confondre les facteurs importants de ceux qui ne le sont pas. Les paradis fiscaux ne sont pas à l’origine de la crise actuelle, et c’est une distraction que de passer du temps sur cette question.

Le FMI renforcé

Dernier chapitre : la réforme des institutions financières. Là encore, on peut attendre du G20 des progrès importants, en particulier en ce qui concerne les montants des ressources du FMI, dont on peut attendre le doublement, de 250 à 500 milliards d’euros. Le FMI est appelé à jouer un rôle de plus en plus important, ce qu’il a déjà commencé à faire en Europe de l’Est, en Hongrie, en Lettonie, et ce rôle va rester central dans la reconstruction du système financier mondial. 

S’attaquer au chantier du marché des changes

Mais au delà de ces quatre chantiers, on peut regretter qu’un cinquième n’ait pas été lancé. Celui qui est sans doute le plus important dans la résolution à moyen terme de la crise : revoir le fonctionnement des marchés des changes mondiaux. On sait très bien que les dysfonctionnements des marchés des changes, des marchés des devises, depuis le début des années 2000, est l’une des causes majeures au démarrage de la crise en 2007.

Pourquoi ? Le marché des changes n’est qu’un des compartiments – certes un compartiment essentiel- mais parmi d’autres constituant les marchés financiers mondiaux. Dans ce compartiment là, seules quelques devises, moins de 10, ont un cours directement dérivé de l’offre et de la demande. C’est par exemple le cas du taux de change du dollar contre l’euro, du dollar contre la livre sterling, ou encore le franc suisse. Par contre, la plupart des grands devises des pays émergents restent soumises à des contrôles de leurs banques centrales, que l’on appelle les « currency boards » ou les « dirty floats » ou tous autres termes aussi ésotériques, qui décrivent simplement le fait qu’à un instant T la banque centrale va essayer de déterminer le taux de change de sa devise, et empêcher soit une appréciation, soit une dévaluation, trop fortes qui contrarieraient ses objectifs de politique économique. On l’a vu avec la banque centrale russe, qui pendant très longtemps a combattu une appréciation trop forte de sa devise, et qui aujourd’hui se retrouve en train de combattre une dépréciation bien trop forte de sa devise ; on l’a bien entendu remarqué avec la réserve de la banque centrale chinoise qui a accumulé près d’un trillion de dollars de réserves de changes, afin d’éviter précisément que la devise chinoise ne s’apprécie, comme elle aurait du le faire.

Tant qu’on n’aura pas résolu ce problème, tant qu’on n’aura pas mis en place un plan à long terme, les choses ne peuvent pas changer. Tant qu’on n’aura pas changé les règles du jeu sur les marchés des changes, on continuera à constater des déséquilibres structurels très importants, avec certaines banques centrales qui accumulent des réserves inconsidérées, pour préserver un taux de change irréaliste sur le plan économique, -soit trop fort, soit trop faible, mais dans les deux cas irréaliste. Ces réserves sont ensuite investies dans les pays développés, avec un excès de liquidités tout à fait préjudiciable à la détermination des taux d’intérêts à long terme, et on en revient alors à la situation de 2007.

Il faut donc souhaiter que, si ce n’est pas le G20, une autre des grandes institutions s’intéresse à la réforme à long terme des marchés des changes, et par réforme il faut entendre la mise en place d’un calendrier visant à ce que, à terme et de façon graduelle, les devises des grands pays émergents, de la Russie jusqu’à la Chine, soient enfin librement déterminées par les simples phénomènes d’offre et de demande, comme les devises de l’ensemble des pays développés.