Quand l’Europe se paie de mots

Chaque mardi, le point de vue de la rédaction de Boulevard-Extérieur sur un sujet de politique internationale.

L’absence de troupes européennes aux côtés des forces françaises engagées sur le sol malien suscite les habituels sarcasmes sur la faiblesse de l’Europe et son incapacité à s’affirmer sur la scène internationale comme une puissance militaire. On peut comprendre les critiques adressées aux Européens pour leur immobilisme face à une crise de grande ampleur comme celle qui frappe le Mali. Mais en vérité ce qu’il faut reprocher à l’Union européenne, c’est moins de se montrer aujourd’hui impuissante dans le conflit malien que d’avoir fait croire qu’elle était sérieusement attachée à la mise en place d’une défense commune.

Car l’Europe ne cesse de se payer de mots depuis quinze ans en se disant résolue à construire une Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), devenue dans le traité de Lisbonne Politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Les quelques expériences conduites avec beaucoup de difficultés dans les Balkans ou en Afrique sous l’égide de l’ancien haut représentant Javier Solana, aussi louables soient-elles, ne sont pas suffisantes pour accréditer l’idée qu’une Europe de la défense est en cours de réalisation.

Aucun des objectifs affichés n’a été tenu. La création d’une force de projection de soixante mille hommes déployables en soixante jours est restée lettre morte. La mise en place de groupements tactiques (battle groups) de 1500 hommes n’a pas davantage vu le jour. A quoi sert d’afficher de telles ambitions si on ne se donne pas les moyens de les atteindre ? Avec des budgets militaires en réduction et une volonté chancelante, les Etats européens ne pouvaient pas prétendre bâtir un outil crédible.

En dépit de leurs proclamations sonores, les Vingt-Sept ne veulent pas établir une Europe de la défense. Seuls quelques pays, dont la France, en sont partisans, sans être d’accord sur la manière d’y parvenir. La plupart de leurs partenaires préfèrent s’en remettre à l’OTAN et aux Etats-Unis. Le mieux que puisse faire l’Europe est de réunir pour une opération donnée, en dehors des structures de l’UE, quelques Etats membres, comme on l’a vu en Libye – mais non au Mali. Sans doute des progrès – modestes – ont-ils été accomplis par les Européens au cours des dernières années en matière de coopération militaire mais la réalité politique de l’Europe rend aléatoire la perspective d’une défense commune. Autant le savoir et renoncer à l’illusion que l’UE est armée pour être, dans un avenir prévisible, l’un des gendarmes du monde.

Il n’y a pas que dans le domaine stratégique que l’Union européenne se berce trop souvent d’illusions. Elle abuse aussi des grands mots dans le domaine économique. Aujourd’hui elle promet d’agir efficacement en faveur de la compétitivité et de la croissance. Peut-on la croire sur parole ? En 2000, elle annonçait, en adoptant la « stratégie de Lisbonne », qu’elle serait dotée en 2010 de l’économie la plus dynamique et la plus compétitive au monde. On a vu ce qui est advenu. La promesse, une fois de plus, n’a pas été suivie d’effet. Les Européens avaient apparemment oublié que la compétitivité dépend, pour l’essentiel, des Etats membres, et non de l’Union européenne. En sera-t-il autrement dans les années à venir ?

Quant à la stimulation de la croissance par des investissements européens dans de grands travaux d’infrastructure, elle supposerait une augmentation du budget communautaire dans des proportions qu’aucun Etat membre n’est prêt à accepter. Jacques Delors l’a appris à ses dépens lorsqu’il était président de la Commission. Il est certes important de fixer des objectifs à long terme. Mais ceux-ci ne doivent pas être trop décalés par rapport à la réalité. Les peuples ressentent ce décalage. En suscitant de vains espoirs, l’Europe provoque de nombreuses désillusions.