L’Union européenne n’a pas cru bon d’envoyer des observateurs, la demande d’Alger étant parvenue « trop tard » selon la déclaration du bureau de Catherine Ashton à Bruxelles qui s’apparente à un refus de cautionner un scrutin dont l’issue ne faisait guère de doute (voir notre article « Paralysie au sommet de l’Etat », daté du 12 mars, sur Boulevard-exterieur.com).
Agé de 77 ans, fortement diminué par un AVC subi en avril 2013, Abdelaziz Bouteflika a voté en se déplaçant sur une chaise roulante. Selon les scrutateurs des partis d’opposition présents dans près de 60 000 bureaux de vote, le taux de participation ne dépasserait pas les 25 % à l’image des régions de Kabylie où l’abstention a été massive. Le taux de participation à l’élection de 2009 avait été estimé à moins de 30 % alors que les chiffres officiels avaient donné 74 %.
« Barakat » (ça suffit !), un mouvement de la société civile qui a émergé quelques semaines avant le scrutin, avait cristallisé le « ras-le-bol » de la population face à la paralysie de la situation politique et économique, appelant au boycottage électoral.
Une économie de rente et un pouvoir politique en sursis
Les revenus pétroliers et gaziers procurent un tiers du PIB, deux tiers des recettes fiscales et près de 98 % des exportations. Entre 2002 et 2012, la hausse des prix des hydrocarbures a permis à l’Algérie de multiplier par quatre ses revenus. Cette situation favorable, avec 200 milliards de dollars (environ 160 milliards d’euros) de réserves de change, n’a pas empêché la stagnation économique marquée par une croissance du PIB par habitant inférieure à 1 % depuis 2005. Le taux de chômage des plus de 25 ans est de l’ordre de 56 %, dont un cinquième est diplômé de l’enseignement supérieur. L’emploi public absorbe un tiers des actifs.
Selon les spécialistes du secteur des hydrocarbures, la production algérienne devrait se tarir à l’horizon de 2030. Si bien que la diversification de l’économie passe par le développement d’un secteur privé capable d’attirer les investissements. En clair, pour que l’économie algérienne puisse satisfaire la consommation intérieure, il faudrait que l’industrie puisse représenter 25 % à 35 % du PIB alors qu’elle ne représente que 8 % actuellement. L’agriculture ne contribue que pour 7 % au PIB et, selon la FAO, elle ne parvient même pas à produire les aliments essentiels à la consommation. En effet, l’Algérie importe 21 % de produits agroalimentaires et n’en exporte que 0,48 %, la plaçant au dernier rang des pays méditerranéens.
Face à cela, Abdelaziz Bouteflika et son gouvernement ont promis une « république rénovée » avec une révision de la Constitution dans le sens d’un « renforcement des libertés collectives et individuelles, des pouvoirs du Parlement et de ceux du Premier ministre », ainsi que des réformes économiques qui permettront au pays d’être moins dépendant du pétrole.
Un aveuglement qui ne fait que repousser l’échéance
Mais, selon le politologue Rachid Tlemçani cité par l’AFP : "La reconduction de Bouteflika va consacrer la consolidation du statu quo ». « Sa réélection ouvrira la vo« ie à une période d’instabilité qui sera marquée notamment par une grogne sociale qui va s’accentuer », car « le pouvoir incarné par Bouteflika ne sera plus en mesure d’acheter la paix sociale, comme il l’a fait durant les trois précédents mandats, en raison d’une probable baisse des revenus pétroliers du pays ».
Pour Kader Abderrahim, cité par le quotidien français Libération, de « nouvelles oligarchies », nées dans le secteur de l’importation et « surtout de l’attribution des marchés publics », pèsent plus que l’armée car « Bouteflika a modifié ces dernières années les équilibres ».
Ces équilibres ne pourront pas se perpétuer après plus d’un demi-siècle d’un pouvoir opaque et verrouillé. L’élection de Bouteflika ne peut masquer la rupture profonde avec une population jeune et en mal d’avenir. Le mouvement Barakat l’a bien compris.
Avec ce qui s’apparente à une parodie d’élection sur un score de « république bananière », la classe politique algérienne fait preuve d’un aveuglement qui ne fait que repousser l’échéance : ça suffit !