On se rappelle l’expression de l’ancien président de la République fédérale, Richard von Weizsäcker, à la fin des années 1980 : « personne, disait-il, n’a envie de redécouvrir que les Allemands peuvent être de bons soldats ». C’était l’époque où les dirigeants de Bonn faisaient une lecture très stricte de la Loi fondamentale allemande qui interdisait les opérations militaires en dehors des limites de l’Alliance atlantique à des fins autres que la défense du territoire.
Le tournant de 1992
L’interprétation des hommes politiques comme du Tribunal constitutionnel a changé après la réunification. Dans le cadre de l’Alliance atlantique et sous la tutelle de l’ONU, l’Allemagne devait être autorisée à participer à des opérations de « maintien ou d’imposition de la paix ». Pour la première fois en 1992, le ministre de la défense d’alors, le chrétien-démocrate Volker Rühe avait envoyé des Allemands dans un contingent de casques bleus, au Cambodge. L’année suivante des Transall de l’armée allemande participaient à un transport de troupes vers Sarajevo. Le chancelier Kohl était passé outre à un de ses principes : ne pas envoyer de soldats allemands là où la Wehrmacht s’était tristement illustrée pendant la Deuxième Guerre Mondiale.
Au cours de cette opération, l’appareil allemand avait essuyé le feu des snipers serbes ; un naviguant avait été blessé. L’inspecteur adjoint de la Luftwaffe avait voulu interrompre l’opération. Le ministre avait demandé pourquoi les Français et les Britanniques continuaient à assurer le pont aérien. Réponse de l’officier, selon le magazine Der Spiegel : « Ils sont habitués ». « Alors il est temps que vous vous habituiez aussi », avait répliqué Volker Rühe.
La Bundeswehr, une ONG ?
L’engagement en Afghanistan rend les dirigeants allemands de plus en plus mal à l’aise. Ils sont pris entre les réticences de l’opinion publique, encore très marquée par la culture pacifiste de l’après-guerre, les réserves des parlementaires qui songent à leur réélection et les demandes de plus en plus pressantes de leurs alliés. Les Américains, mais aussi les Britanniques et les Canadiens, qui combattent les talibans dans le sud du pays, reprochent aux Allemands, mais aussi aux Italiens et aux Français, de rester dans les zones plus sûres.
Franz Josef Jung tente en vain de présenter le rôle de la Bundeswehr en Afghanistan comme l’œuvre d’une sorte d’ONG, chargée de restaurer le système d’éducation et de santé ou le réseau de communications. Et ce malgré les vingt-six morts allemands depuis le début de l’intervention à l’automne 2001.
Ses explications convainquent d’autant moins que les Allemands sont en train de remplacer la Force d’intervention rapide norvégienne, dans le nord du pays, mais si besoin également au sud. Qui dit "force d’intervention rapide" dit actions armées. Il est difficile d’établir une séparation claire entre l’opération Enduring Freedom (Liberté pérenne) des Américains contre Al Qaïda et ses alliés et la Force internationale de stabilisation en Afghanistan (ISAF), supposée maintenir la paix pour assurer la reconstruction.
Questions sans réponses
La situation du gouvernement allemand est délicate car il doit constamment se justifier devant le Bundestag. Chaque année à l’automne, les députés doivent voter pour approuver le maintien du contingent. Chaque année, la majorité est plus difficile à rassembler. En 2001, le ministre de la défense d’alors, le social-démocrate Peter Struck avait déclaré : « La défense de l’Allemagne commence dans l’Hindou-Kouch ». Un peu plus tard, son collègue des affaires étrangères de la coalition rouge-verte, Joschka Fischer, disait que l’engagement en Afghanistan aux côtés des Américains avait permis à l’Allemagne de refuser sa participation à la guerre en Irak.
Ces justifications ne suffisent plus. Des députés, y compris des démocrates-chrétiens, attendent des réponses : que se passe-t-il avec le Pakistan ? Combien de temps encore durera l’intervention en Afghanistan ? Peut-on continuer à séparer artificiellement Enduring Freedom et l’ISAF ? Quel est l’objectif ? Toutes ces questions sont posées depuis longtemps. La réponse consistant à dire que la solution n’est pas militaire mais politique est sensée mais elle reste abstraite aussi longtemps que la communauté internationale est incapable de dire ce qu’elle veut en Afghanistan. Et ce n’est pas la conférence de Paris, du mois de juin, qui a apporté des éclaircissements.