Alors que les négociations continuent entre les principaux partis allemands, au lendemain des élections du 26 septembre, pour la formation d’un nouveau gouvernement, les alliés de l’Allemagne, à commencer par la France, attendent avec impatience de connaître les ambitions européennes de Berlin. Le nouveau chancelier voudra-t-il faire de l’Union européenne un instrument de puissance, capable d’affronter sur la scène internationale les grands acteurs que sont les Etats-Unis, la Russie ou la Chine, ou se gardera-t-il d’entraîner son pays, via l’Europe, dans les affaires du monde, en choisissant de faire profil bas en matière de défense et de diplomatie ?
A cette question ni le social-démocrate Olaf Scholz ni le conservateur Armin Laschet n’ont répondu clairement. Le sujet, il est vrai, n’a pas été abordé au cours de la campagne dont la politique étrangère a été pratiquement absente. Certes les deux dirigeants ont affirmé que leur action s’inscrirait dans la continuité de celle de Mme Merkel, dont l’un et l’autre ont revendiqué l’héritage. Mais sur ce terrain la chancelière sortante est restée d’une grande prudence. En dépit de certaines avancées, comme l’augmentation substantielle du budget militaire ou la participation de la Bundeswehr à plusieurs missions à l’étranger, la chancelière, au cours de ses quatre mandats à la tête du gouvernement, s’est abstenue de redéfinir sa conception du rôle de l’Allemagne.
Une inflexion inachevée
Il est vrai qu’elle a lancé en 2017 : « Nous, les Européens, nous devons vraiment prendre en main notre propre destin ». C’était au lendemain du sommet du G7, à Taormine, où les désaccords entre l’Amérique de Trump et l’Union européenne s’étaient affichés au grand jour. « Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus », avait-elle ajouté. Cette déclaration a fait couler beaucoup d’encre, elle a été interprétée comme une inflexion notable de la politique allemande et comme le signe que Berlin se ralliait au projet d’autonomie stratégique européenne développé par Emmanuel Macron. La chancelière s’est même prononcée, en 2018, pour « une véritable armée européenne ». Toutefois les propos de Mme Merkel ne se sont guère transformés en actes. L’inflexion, si inflexion il y eut, a été légère. Et en tout cas inachevée.
Le nouveau gouvernement sera donc appelé à préciser quel rôle il souhaite que joue l’Europe sur la scène internationale. Les principaux partis allemands ont en commun, par-delà leurs divergences, d’être pro-européens. Seules font exception les deux partis d’extrême droite et d’extrême gauche. L’un et l’autre ont subi un net échec le 26 septembre. Les électeurs ont donné la préférence à des formations qui se disent attachées au projet européen. Olaf Scholz, qui a toutes les chances d’être le prochain chancelier, a appelé à une plus forte collaboration européenne. « L’Europe est notre avenir », a-t-il déclaré, ajoutant : « Sans l’Europe, nous ne jouerions aucun rôle dans le monde ». Quant aux Verts, qui sont assurés de siéger dans le nouveau gouvernement, ils ont affirmé, par la voix de leur candidate à la chancellerie, Annalena Baerbock, que « la politique étrangère doit toujours être une politique européenne ». C’est aussi l’avis des libéraux, autre partenaire de la future coalition. Bref, l’Europe sera, sans aucun doute, l’un des axes de l’après-Merkel.
Mais de quelle Europe s’agira-t-il ? Le président de la République, Frank-Walter Steinmeier, s’est interrogé, dans un discours prononcé le 17 septembre, soit une semaine avant les élections, à l’occasion du retour des forces allemandes d’Afghanistan, sur la future politique étrangère de l’Allemagne. « La chute de Kaboul, a-t-il dit, est une tragédie dont nous sommes coresponsables. Ces semaines marquent une césure politique qui doit nous obliger à faire notre autocritique et à redéfinir notre rôle et notre responsabilité envers le monde ». Mme Merkel a commencé timidement ce travail mais tout reste à faire. « C’est une tâche, a conclu M. Steinmeier, qui incombera au prochain gouvernement et au prochain Bundestag ». Cette tâche ne sera pas simple. Pour le moment les discours tenus sur le sujet par les partis appelés à gouverner l’Allemagne ne sont guère différents de ceux de la chancelière. « L’Union européenne doit devenir plus indépendante en termes de politique de sécurité et de défense », affirme le SPD. « Nous voulons renforcer la souveraineté européenne », soutiennent les Verts. « Plus d’Europe pour plus de liberté », proclament les libéraux. Reste à passer aux actes.
Thomas Ferenczi