Face à la contestation qui grandit en Biélorussie à l’encontre du président Alexandre Loukachenko, l’Union européenne est partagée entre la condamnation des pratiques antidémocratique de l’autocrate de Minsk et la volonté de ne pas heurter de front Vladimir Poutine, son principal allié. « Nous sommes aux côtés des Biélorusses, qui veulent les libertés fondamentales et la démocratie », a déclaré Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, en appelant à des sanctions contre les responsables de la répression. Mais dans le même temps les Européens souhaitent « un dialogue avec toutes les parties prenantes », éventuellement dans le cadre de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), dont Moscou est membre.
La Biélorussie appartient au groupe de pays, situés aux frontières de la Russie, avec lesquels l’Union européenne a noué depuis 2009, à l’initiative de la Pologne et de la Suède, ce qu’elle appelle un « partenariat oriental ». Ce partenariat, qui concerne aussi la Moldavie, l’Ukraine et les trois Etats du Caucase, est le versant côté Est de la « politique européenne de voisinage » imaginée par l’ancien président de la Commission européenne, Romano Prodi, pour rapprocher de l’UE des Etats qui n’ont pas vocation à en devenir membres mais qui appellent de sa part une attention particulière. L’autre versant, côté Sud, inclut les trois pays du Maghreb et six pays du Moyen-Orient.
Le partenariat oriental a pour caractéristique de s’adresser à des pays anciennement soumis à la tutelle soviétique sous l’égide de l’URSS, dont ils sont tous issus. On comprend qu’il soit vu d’un mauvais oeil par Moscou, qui considère que cette région fait partie de sa zone d’influence et doit y rester. Pour les Etats concernés, la difficulté est d’équilibrer les relations qu’ils souhaitent établir avec l’Union européenne au titre du partenariat oriental avec celles qui les lient à la Russie dans la continuité de leur ancienne appartenance à l’URSS. L’équilibre n’est pas facile à maintenir. Certains pays y parviennent mieux que d’autres. Cela dépend beaucoup du sentiment de leur population à l’égard de la Russie.
Dans la plupart d’entre eux, des « révolutions de couleur » ont balayé les pouvoirs en place. En Géorgie et en Ukraine, ces soulèvements se sont transformés en manifestations antirusses. Celles-ci ont provoqué l’intervention militaire de Moscou, qui a eu pour conséquences en Géorgie la sécession de deux provinces rebelles, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, et en Ukraine l’annexion de la Crimée et un conflit ouvert dans le Donbass, à l’Est du pays. En Arménie, en revanche, la révolte populaire qui a chassé du pouvoir il y a deux ans l’homme de Moscou, Serge Sarkissian, pour y porter le chef de l’opposition, Nikol Pachinian, n’a pas entraîné une rupture avec la Russie, dont l’Arménie reste un allié fidèle.
Sous ce rapport, la situation de la Biélorussie apparaît plus proche de celle de l’Arménie que de celles de l’Ukraine et de la Géorgie. Le pays n’est pas divisé entre prorusses et antirusses, comme c’est le cas dans d’autres Etats de la région, et le mouvement de protestation qui vise Alexandre Loukachenko n’est pas hostile à Moscou. Il ne peut pas non plus être accusé de collusion avec l’Occident, malgré les efforts du président biélorusse pour mettre en cause l’Union européenne. Il attend de celle-ci qu’elle accompagne, selon l’expression d’Ursula von der Leyen, « une transition démocratique pacifique », et non qu’elle bouleverse à son avantage l’ordre géopolitique de la région.
Les contestataires ne veulent pas être entraînés dans un conflit entre la Russie et l’Europe, qui risquerait de dégénérer. Leur priorité est d’en finir avec un régime dont l’autoritarisme ne cesse de croître et qui, en falsifiant les élections, viole toutes les règles de la démocratie. La promotion de l’Etat de droit est l’un des objectifs du partenariat oriental : en échange d’une aide financière, les pays de la région sont appelés à démocratiser leurs institutions et à favoriser le respect des droits de l’homme et des libertés publiques. En soutenant l’exigence de changement exprimée par les manifestants biélorusses, l’Union européenne est donc fidèle à ses engagements.
Thomas Ferenczi