Quelques années de plus pour le nucléaire ?

La question énergétique occupera une place de choix dans la campagne électorale 2009 en Allemagne. La chancelière Angela Merkel a annoncé qu’elle ferait campagne pour la prolongation de l’utilisation des centrales nucléaires existantes Les sociaux-démocrates et les Verts s’en tiennent officiellement à la sortie du nucléaire pour 2020, mais Erhard Eppler, un vieux social-démocrate proche des antinucléaires, propose un moratoire sur la sortie du nucléaire, en attendant que les énergies alternatives puissent prendre le relais. 

Faut-il sortir de la « sortie de l’atome » ? A l’heure où dans le monde on parle de la renaissance de l’énergie nucléaire, la chancelière Angela Merkel a annoncé qu’elle ferait campagne pour la prolongation de l’utilisation des centrales nucléaires existantes pendant la campagne électorale de 2009. Les sociaux-démocrates et les Verts s’en tiennent officiellement à la sortie du nucléaire pour 2020, mais ils ne peuvent ignorer l’impasse dans laquelle se trouve l’Allemagne.

En 2000, au moment où il faisait voter « la sortie de l’atome », le gouvernement rouge-vert Gerhard Schröder ne prévoyait ni la transformation du marché de l’énergie, ni l’accélération du réchauffement climatique. Après l’Autriche, la Suède, l’Italie et la Belgique, l’Allemagne avait décidé de fermer en 2020 ses centrales nucléaires, et de ne pas en construire de nouvelles. Elle se trouve maintenant dans une situation difficile. L’environnement est la question clef de son dilemme. Renoncer à l’énergie nucléaire, c’est encore utiliser les centrales au charbon pour produire l’électricité, ce qui engendre des émissions de gaz à effet de serre.

Les partisans et les adversaires de l’énergie nucléaire qui se disputent depuis trente ans ont trouvé dans la conjoncture économique et écologique actuelles le terrain de nouveaux débats passionnés.

Partout dans le monde, les partisans de l’énergie nucléaire civile font valoir que c’est une énergie « écologique ». Elle produit beaucoup moins de CO2 que les centrales thermiques alimentées par des matières fossiles – 32 g. pour la production d’un kWh dans une centrale nucléaire, 1150 dans une centrale à charbon et 400 dans une centrale à gaz moderne. C’est d’autre part une énergie économique. Le prix du kWh revient beaucoup moins cher que dans les centrales traditionnelles, même si la construction des centrales est onéreuse. Ses défenseurs mettent aussi en avant le manque d’alternatives, parce que, disent-ils, les énergies renouvelables (éoliennes et solaires surtout) ne disposent pas encore de techniques assez sûres et accessibles : le problème du transport de ces énergies vers leur lieux d’utilisation n’est pas résolu.

Les besoins des pays émergents

Un facteur nouveau vient rendre la question pressante sur la scène mondiale : les pays émergents sont assoiffés d’énergie. Pour leur permettre d’atteindre le niveau de consommation des pays occidentaux, des centrales traditionnelles asphyxieraient la planète. C’est pourquoi l’ONU et le G8 ont décidé qu’il fallait réduire les émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici 2050. Ce niveau signifierait pour un Allemand une baisse des 4/5 de sa consommation d’énergie. Impossible dans les conditions actuelles. Les seuls espoirs sont dans le nucléaire, argumentent ses partisans.

Il n’y a aucune symétrie entre les positions des pour et des contre. Alors que les premiers rêvent d’une grande industrie moderne dont les réacteurs de 4ème génération seraient plus sûrs et plus efficaces, les seconds sont en fait sur une position de repli dominée par la peur. Leurs craintes se fondent d’abord sur l’insécurité des centrales nucléaires, à laquelle l’accident de la centrale russe de Tchernobyl, en 1986, a donné un retentissement mondial. Justement, disent les partisans de la construction de nouvelles centrales, les réacteurs d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec les techniques soviétiques obsolètes. Et même pour les réacteurs occidentaux existants, beaucoup plus fiables que les russes, la poursuite de la construction de centrales, donc de la recherche, apporterait un supplément de garantie contre les aléas.

Les déchets radioactifs

Le problème le plus grave est ailleurs. Le traitement des déchets, dont la radioactivité peut se prolonger pendant des centaines de milliers d’années, n’a pas aujourd’hui de solution satisfaisante. Or les 50 premières années du nucléaire civil en ont produit 300 000 tonnes. On en ajoute 10 000 par an. Les plus radioactifs sont traités à La Hague. En Allemagne on a rempli de déchets de faible et moyenne radioactivité une ancienne mine de sel, à Wolfenbüttel, dont on craint qu’elle ne s’écroule. Mais arrêter les centrales ne servirait à rien. Car les déchets sont déjà là. La solution est dans la recherche. Il faut lui donner les moyens.

Les économies réalisées avec la production d’énergie nucléaire par rapport à la thermique pourraient permettre à l’Allemagne de financer à la fois la construction d’unités éoliennes et solaires, d’améliorer l’efficacité des centrales traditionnelles et de subventionner les industries fortement consommatrices d’énergie. Un vieux gourou social-démocrate, Erhard Eppler, qui fut un des premiers à attirer l’attention de son parti sur les problèmes d’environnement, propose une solution de transition, un « pont » : « Maintenons en vie nos centrales nucléaires quelques années de plus, pour assurer cette transition vers les énergies nouvelles, dit-il dans un entretien accordé au magazine Der Spiegel du 7 juillet 2008, mais écrivons dans notre Constitution que nous ne construirons plus de centrales nucléaires. Nous obtiendrions ainsi le consensus énergétique dont un pays industriel a besoin, et nous donnerions le bon signal aux autres pays. »

« On ne peut pas sortir en même temps du nucléaire et du charbon » reconnaît dans Die Zeit du 10 juillet Fritz Vorholz, un adversaire de l’énergie nucléaire, qui conclut cependant son plaidoyer contre l’atome en rejetant le « pont », l’idée d’un moratoire pour les centrales nucléaires, parce que cela donnerait aux gens l’illusion que le problème est résolu !

« Ausstieg, nein, danke ! »- la sortie, non merci ! Le moratoire ne satisfait pas non plus les partisans de l’atome, car à leurs arguments économiques et écologiques s’ajoutent deux éléments qu’un moratoire ne prendrait pas en compte. Le premier concerne la recherche : le retard qu’a pris l’Allemagne dans ce domaine ne sera rattrapé que si la construction de nouvelles centrales (au moins l’amélioration des centrales existantes) lui donne l’impulsion nécessaire. Le second point, comme pour beaucoup d’autres pays européens, concerne l’indépendance politique par rapport aux fournisseurs de pétrole et, en ce qui concerne l’Allemagne, de gaz. La dépendance vis-à-vis des livraisons russes devient préoccupante.

Les arguments en faveur de la « sortie de l’atome » qu’ Erhard Eppler rappelle avec insistance dans le Spiegel, les dangers auxquels l’industrie nucléaire expose le monde, mettent au premier plan moins les aspects techniques que les problèmes politiques. La question a déjà été posée par le lieu où traiter les déchets : si les experts allemands souhaitent, semble-t-il, le trouver sur le territoire national, Mohamed ElBaradei, le directeur de l’Agence Internationale pour l’Energie Nucléaire, serait en faveur d’un site international. Actuellement 50 pays déposent leurs déchets dans des endroits parfois peu sûrs, faute d’argent et de moyens géologiques. Un site centralisé diminuerait le risque que du matériel radioactif tombe entre les mains de terroristes ou d’Etats politiquement instables ou corrompus.