Quelques pistes pour sortir de la crise III. Refonder ou redynamiser

Professeur émérite à l’Université Paris-Ouest Nanterre, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques, Philippe Hugon s’interroge, à quelques semaines des élections européennes, sur l’avenir de l’Union et sur la manière dont elle pourrait être redynamisée pour surmonter son déficit de citoyenneté. 

es édifices construits sont éloignés des cohérences pensées par les intellectuels ou énoncées par les politiques. Les processus se déroulent à des rythmes variables en fonction de compromis et de rapports de force.

Les forces politiques nationales peuvent conduire à des coalitions très hétérogènes. Les positions politiques sur l’Europe ne sont plus en phase avec les clivages gauche /droite. Ainsi, la dissolution de l’euro est préconisée en France non seulement par le Front national, mais également par les libéraux croyant en la neutralité de la monnaie, par les souverainistes mettant en avant la dimension politique de la monnaie, par les acteurs financiers de Wall Street ou de la City, par les partis de la gauche extrême dénonçant l’impact négatif de l’euro sur le chômage.

Les rapports de force entre Etats concernent notamment la position de l’Allemagne qui à court terme a tout à gagner à l’euro fort mais qui à terme est vulnérable du fait de facteurs démographiques ou de son intégration commerciale et financière à l’Europe. Ils dépendent des relations internationales qui rendent largement obsolètes les modèles macroéconomiques bouclés sur des économies nationales. Les questions de confiance et de crédibilité des politiques, de liens entre l’économie et la légitimité politique, sont aujourd’hui centrales.

Quelles propositions sont elles nécessaires et crédibles ? Les risques et le coût du détricotage de l’Europe et des replis nationalistes sont très élevés. L’Europe dispose d’ atouts considérables qui sont les bases d’une refondation : le niveau de revenu, le patrimoine culturel, les ressources humaines, l’Etat de droit, les pôles d’excellence, le taux d’épargne. Les réformes doivent prendre en compte l’histoire longue même si les acquis ne sont jamais une source de légitimité pour les jeunes générations. Selon le proverbe africain, « lorsque l’on ne sait pas vers où l’on va, il faut regarder d’où l’on vient ». Il s’agit également de bien différencier ce qui ressort des niveaux mondial, national, local et spécifiquement européen. Lorsque l’on est au milieu du gué et que les eaux montent, on ne peut qu’avancer avec un attelage solidaire à défaut de reculer en ordre dispersé. Les propositions doivent intégrer les opinions publiques, les choix des citoyens et les compromis entre des Etats membres.

Ces propositions sont présentées par ordre d’urgence si ce n’est d’importance.

 

1/Une meilleure communication permettant des débats citoyens.

 

Redonner un sens à l’Europe et sortir de représentations anxiogènes suppose de relire l’histoire pour construire le futur. Une des priorités européennes est de mieux communiquer à partir des acquis (paix, démocratie, gestion commune des identités plurielles, prospérité en longue période), d’avoir un message simple, visible et lisible face à la complexité, aux contradictions et aux compromis de l’Union et de donner sens au futur à partir de quelques projets communs emblématiques. Répondre aux critiques des perdants de la mondialisation en évitant les amalgames entre le chômage et l’Europe ou comprendre les raisons des populations en marge de l’union qui souhaitent l’intégrer sont de la responsabilité des politiques. Les acquis, toujours provisoires, de la paix, de la démocratie et de l’accès au marché vont de soi pour les citoyens eurosceptiques alors qu’ils sont un combat pour ceux qui veulent en bénéficier, entrer dans la zone euro ou l’Union européenne. Les hommes politiques doivent traduire en termes compréhensifs par les citoyens les analyses économiques, sur le risque du dé tricotage de l’Europe, les coûts respectifs d’un ajustement monétaire et réel, ou les travaux sur les régulations financières face à la globalisation.

2/Quel rôle pour la Banque centrale ?

 

L’euro a supprimé les risques de change, baissé les coûts de transaction, favorisé l’intégration des marchés et constitué un pôle monétaire face au dollar, au yen et au yuan. Mais il a été également un facteur de perte de compétitivité et de disparités entre régions et nations. Les règles de la Banque centrale n’ont pas été en phase avec la crise et la nécessité de politiques contra cycliques. La flexibilité des salaires et des prix, la mobilité du travail et du capital et les transferts budgétaires qu’impliquait une union monétaire n’ont été que partiels. Le capitalisme se caractérise par des crises dont certaines systémiques supposent un prêteur en dernier ressort et des créations de liquidité pour renflouer les banques voire racheter les obligations de l’Etat en période de dépression. L’existence de la même monnaie et des mêmes taux d’intérêt dans des économies très hétérogènes impliquait des processus de convergence sociale, fiscale et budgétaire et des transferts compensateurs des disparités.

3/L’Union bancaire

L’Union bancaire vise à la supervision des grandes banques européennes par la BCE, coupe le lien qui unit la dette souveraine des Etats à leurs banques au coût d’une légère hausse des taux d’intérêt. Le mécanisme de résolution permet de gérer la faillite ou le sauvetage des banques par un fonds mutualisé des banques au départ national puis fédéral et non plus par les Etats[1]. L’Union bancaire ne sera toutefois mise en place qu’avec un délai de 10 ans et un droit de veto des Etats vis-à-vis de l’instance de surveillance mais elle réduit l’aléa moral. La politique pragmatique du gouverneur de la BCE lui a permis de répondre à la crise financière de dimension mondiale et peut être à la guerre des monnaies. Il faut rappeler que les risques budgétaires ne proviennent pas principalement du non-respect des règles sur la dette souveraine mais de la régulation défaillante du secteur financier. La responsabilité première doit incomber aux acteurs financiers et non aux contribuables qui ne doivent intervenir qu’en dernier recours. Le pacte de stabilité a été peu respecté par les pays leaders de l’Europe et reste un garde-fou à la condition d’en faire un instrument de politiques contra cyclique pluri annuel et non d’une règle d’or rigide.

4/Un nouveau rôle attribué à l’euro et à la zone euro

 

De nombreux arguments peuvent être avancés contre l’euro. Certains sont politiques, lutter contre le nationalisme allemand, et l’Europe rhénane, adosser la monnaie sur une souveraineté nationale, assurer le renouvellement des élites des technocrates européistes ; d’autres sont économiques et concernent les gains de compétitivité. Les diverses simulations qui fondent ces positions se réfèrent, en réalité, à un monde vieux de plus de quarante ans. Outre les limites inhérentes à tout modèle, elles sont élaborées en termes réels sans intégrer l’insertion des économies dans la globalisation financière, les questions de confiance et de crédibilité des opérateurs notamment financiers, l’impact de la dette publique et extérieure et des notations des agences, la disparition du système de Bretton Woods.

Elles mésestiment les effets des dévaluations consécutive à la sortie de l’euro sur la dette publique et surtout extérieure, sur l’inflation, sur les importations énergétiques à faible élasticité. Elles ne prennent en compte ni les pertes de confiance des investisseurs ni ceux des marchés financiers. Elles se placent du seul point de vue national sans prendre en compte les réactions des partenaires ou des concurrents. Les partisans de la sortie de l’euro qui abordent la dimension politique supposent implicitement que la coalition anti euro dirigée en France par le Front national aurait la légitimité et la crédibilité internationale pour mener une politique monétaire active.

L’euro joue certes un rôle dans la crise européenne face au dollar et au yuan. Sa surévaluation a ralenti la croissance et la compétitivité dans de nombreux secteurs. Il importe toutefois dans un monde financiarisé de ne pas avoir d’analyse simpliste sur la monnaie. Même si l’euro est surévalué et répond aux intérêts prioritaires de l’Allemagne, la question monétaire doit être relativisée. Les déséquilibres peuvent être réduits par l’usage d’instruments de politique monétaire quantitative. L’ajustement monétaire est un moyen « indolore » et non visible vis-à-vis des travailleurs de réduire le coût du travail mais il est une mesure globale, qui ne s’attaque pas aux réformes structurelles et qui conduit généralement à retarder les ajustements réels.

Des réformes de l’euro et de la Banque centrale supposent une négociation politique globale avec l’Allemagne pour qu’elle accepte un infléchissement de sa position rigide en contrepartie de réformes structurelles des pays du Sud de l’Europe et de prise en compte des effets négatifs à terme d’un jeu non coopératif avec les autres Etats. Les Etats membres (au-delà de leurs divergences d’intérêts), la Commission européenne et surtout la Banque européenne doivent affirmer haut et fort, vis-à-vis des marchés, que le niveau de l’euro est trop élevé par rapport aux autres monnaies et notamment le $. Les politiques doivent viser à réduire les importations (notamment d’énergie) et à relancer les exportations hors de la zone euro par une dépréciation du change, comme le font les Etats-Unis, les pays émergents ou la Grande Bretagne. Une Europe forte suppose un euro faible vis-à-vis des autres grandes monnaies et des compensations internes entre l’euro qui est faible pour l’Europe du nord et fort pour l’Europe du sud.

5/Une nouvelle répartition des tâches entre le Parlement, le président élu de la Commission et la Commission

 

La nomination du futur président de la Commission par le Parlement suite au Traité de Lisbonne de 2009 conduira à une plus grande légitimité politique de la Commission. Mais les abstentions des citoyens aux prochaines élections risquent d’être très élevées et les votes antieuropéens majoritaires.

La légitimité et la redynamisation de l’Union européenne reposent sur la primauté du politique sur l’administration. L’UE doit se désengager de nombreux enjeux normatifs et redonner aux Etats et aux collectivités décentralisées de nombreuses compétences selon le principe de subsidiarité pour se recentrer sur quelques enjeux stratégiques communs et répondant aux défis du XXIème siècle tels la régulation du système financier, la politique monétaire, la lutte contre le changement climatique, une politique vis-à-vis du Sud de proximité reliant les volets sécurité, développement et politiques migratoires. Ce recentrage sur quelques grands objectifs implique une montée en puissance de l’exécutif et du Parlement européen aux dépens de la Commission.

Le Parlement européen est doté de pouvoirs croissants (élection du président de la commission, surveillance des politiques extérieure ou commerciale, vote du budget..). Ce pouvoir émanant des citoyens doit croître en puissance pour compenser celui de la Commission plus proche des intérêts des entreprises. A plus long terme, le fédéralisme de type Etats-Unis d’Amérique ou Allemagne serait évidemment souhaitable mais semble peu réaliste[2]. Il supposerait des transferts financiers élevés à la charge de l’Allemagne. En revanche, une confédération de type helvétique fondée sur un gouvernement collégial, un principe de pluralisme culturel et linguistique et de fait une dominance de la finance seraient un recul important.

La reconstruction de l’édifice doit rompre avec la vision pyramidale de l’Europe fondant les principes de subsidiarité et prendre en compte la pluralité des emboîtements d’échelles territoriales et de niveaux de décision divers selon les domaines. La subsidiarité ne peut être pensée qu’en liaison avec la solidarité et la prise en charge par les instances du bas des interdépendances entre elles et avec les instances supérieures. Comment réduire (notamment pour la France) la complexité et le coût budgétaire du mille-feuille institutionnel allant des communes à l’échelle européenne et favoriser des dynamiques régionales transnationales ? Un des enjeux majeurs est de définir les domaines où des transferts de souveraineté sont souhaitables (sécurité, diplomatie, monnaie, fiscalité, politiques énergétiques, de recherche et d’innovations technologiques) et acceptables.

Quels sont ceux où les dynamiques locales et décentralisées et infranationales sont préférables ? Quels sont les biens communs et les interdépendances permettant une nouvelle conscience et espérance collective construisant une communauté de destin et conduisant à une citoyenneté ? Comment passer d’une logique technocratique et bureaucratique à une logique politique évitant, malgré le Traité de Lisbonne, la complexité des structures, une faiblesse de l’exécutif et du Parlement ? L’Europe ne peut se renforcer sur le plan politique que par le rôle des organisations sociales et politiques (syndicats, partis, société civile) constructrices d’une citoyenneté ou d’un demos européen, une légitimité des élus, un contrôle du politique sur les technocrates et les corporatismes, des instances de décision fortes avec transfert partiel de souveraineté dans le domaine économique (ministère des Finances et Trésor européen), diplomatique et militaire, de la recherche et de l’innovation. Seuls un exécutif et un législatif européens, par exemple sur le modèle du système bicaméral allemand, peuvent relégitimer le politique.

L’Europe ne peut se reconstruire qu’à plusieurs vitesses sur des espaces pluriels eux-mêmes évolutifs. Quatre cercles de coopération renforcée peuvent être différenciés. Le grand marché des 28, le groupe Euroland des 18, l’union politique ou une fédération d’Etats nations à construire à partir d’un noyau limité et le cercle des pays de proximité. Ces cercles pouvant évidemment changer de configurations auraient chacun des objectifs prioritaires nettement définis par exemple la fédération européenne sur une politique active commune de croissance et une harmonisation fiscale (Godino, Verdier 2014)[3] et le renforcement de communautés supranationales appuyés sur une citoyenneté européenne, un système de partis européens et des communautés supranationales ayant des critères de légitimité démocratique.[4]

 

6/Quelles avancées sur les processus d’intégration économique ?

 

Les pays européens sont différemment exposés à la crise financière et aux chocs extérieurs et ont des résiliences diverses face aux chocs asymétriques. La question se pose avec une acuité particulière pour l’Euroland où la variation du taux de change n’est pas un instrument de l’ajustement aux crises. Il importe, dès lors, qu’il y ait à la fois plus d’intégration commerciale (commerce intra union), de mobilité des facteurs (travail, capital), que les flexibilités des prix et salaires diffèrent selon les expositions des pays membres aux chocs et leurs compétitivité et que soient mises en place des politiques de partage des risques, de mutualisation des dettes et de transferts financiers des pays excédentaires vers les pays déficitaires de la zone. Les déséquilibres structurels massifs internes aux Etats membres doivent être compensés également par des politiques nationales et européennes de compétitivité structurelle. L’approfondissement des marchés des facteurs ne peut se faire que sur un socle minimal social (pour le travail) et fiscal (pour le capital). La lutte contre les paradis fiscaux et l’attractivité des capitaux par le moins disant fiscal ne peut progresser que par des contreparties politiques. La responsabilité des Etats membres doit s’accompagner de mécanismes de solidarité tels l’assurance-chômage complétant les systèmes nationaux (cf. le groupe allemand de Glienicken), la multilatéralisation d’une partie de la dette des Etats ou la mise en place d’un budget européen au sein de la zone euro.

 

7/La mise en place de projets européens mobilisateurs

 

Une politique de relance à long terme suppose des projets mobilisateurs. La régulation financière (cf. les 28 mesures prises par le commissaire Michel Barnier) doit s’accompagner d’une réorientation de la finance pour irriguer l’économie réelle et financer les investissements de long terme. Les emprunts européens sur des projets innovants doivent être dissociés de la dette publique nationale. Dans le domaine de la recherche, de l’énergie, des industries innovantes et compétitives allant de la transition énergétique et de l’économie verte aux projets à haut niveau technologique d’armement sur les modèles d’Airbus, d’Ariane espace, du CERN ou d’EADS. Il faut trouver des nouveaux secteurs entraînants qui ont construits l’Europe tels la CECA ou la PAC. L’Europe a besoin d’un nouvel impératif industriel, d’une relance par une politique de formation et de recherche, d’innovations et de convergences énergétiques, de mutualisation des dettes et de lancement d’un grand emprunt de relance fondant des projets communs. Le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI) devrait être central. Réduire la disjonction entre la mondialisation des firmes et la régulation des Etats passe par des partenariats publics-privés financés par des emprunts européens mais également des appuis directs de l’échelon européen aux territoires et districts industriels.

8/Comment s’insérer dans une mondialisation sensée ?

L’Europe, à défaut d’être le phare du monde, peut en être la conscience par ses politiques pour réduire les gaz à effets de serre (GES), contrôler les paradis fiscaux, réguler la mondialisation criminelle, favoriser les droits de l’homme. Elle doit mettre en œuvre un modèle social original fondé sur la protection sociale, la production de services publics ou d’intérêt général et l’harmonisation fiscale, la mise en place de salaires minimum, la compensation des perdants de la mondialisation par les gagnants. Elle peut jouer un rôle d’entraînement quant aux normes sociales ou environnementales sans qu’il y ait remise en cause de la compétitivité.

 

Cette insertion implique une politique forte de solidarité avec les Suds de proximité. Comme le disait Willy Brandt, la politique de développement est la politique de paix du XXème siècle. La solidarité avec le Sud, ses drames et ses promesses est aussi une manière de retrouver un sens à l’action, d’avoir une vision du monde plus optimiste et moins anxiogène[5]. La construction et le rêve européen se sont constitués lors de la décolonisation avec une politique de solidarité avec le sud de proximité. Malgré l’importance des flux d’aide, la perception actuelle dominante en Europe est celle de la peur vis-à-vis des migrants, celle de la crainte de la délocalisation des activités, de la montée du cartiérisme privilégiant la Corrèze au Zambèze. Il y a peu de perceptions des avantages économiques liées à la migration, à la constitution de marchés solvables au Sud. L’Europe a des défis communs à relever et des complémentarités à gérer avec son Sud de proximité : sécurité, lutte contre le réchauffement climatique et la pollution, énergie, migrations. Le sommet Union européenne /Afrique d’avril 2014 est l’occasion d’une refondation des relations entre l’Europe et l’Afrique.

Les enjeux prioritaires sont les partenariats pluri acteurs favorisant une croissance inclusive et durable et des liens entre sécurité et développement, les ODD (objectifs du développement durable). La production et le financement des biens publics régionaux Europe/Sud peuvent refonder les relations de coopération en transformant la relation verticale et asymétrique d’aide en co-opérations vis-à-vis d’enjeux communs.

8/Vers une Europe puissance ?

 

Soit l’Europe demeure un marché dilué dans la mondialisation dominée par le binôme Etats-Unis/Chine, soit elle participe de la construction d’un multilatéralisme coopératif fondé sur des pôles régionaux en devenant une puissance. Face à la montée des puissances émergentes et à l’hyperpuissance américaine, mais également aux menaces sécuritaires, l’Europe doit peser dans le domaine d’une politique extérieure commune et de défense. Il s’agit pour elle de jouer un rôle sur l’échiquier mondial et régional en participant à la résolution des crises. La politique de sécurité et de défense communes (PSDC) prévue par le Traité de Lisbonne témoigne d’une grande opposition sur les priorités diplomatiques et militaires des Etats membres.

Face à l’activisme militaire français, à l’antimilitarisme allemand et aux coopérations bilatérales britanniques avec les Etats-Unis ou la France, l’Europe est un marché qui fonctionne dans un empire normatif sans parapluie si ce n’est atlantique. Les capacités militaires des Etats membres sont très hétérogènes. Pour la majorité des Etats membres, le « haut du spectre » est accordé à l’Otan alors que l’UE se limite à la gestion des crises et le soft power humanitaire. La mutualisation au mieux des capacités ne s’accompagne pas d’une mutualisation des risques. L’Europe doit prendre conscience que sa propre sécurité passe par celle de son voisinage au Sud et à l’Est. Elle doit intégrer la reconfiguration mondiale avec retrait partiel des Etats-Unis en Europe, en Afrique et au Moyen Orient et nouveau partage du monde. Un Euro groupe de la défense à géométrie variable peut se constituer autour des capacités opérationnelles de la Grande Bretagne, de l’Allemagne et de la France avec coopérations d’autres pays volontaires et du rôle entraînant de la Grande Bretagne et de la France. La mise en place d’un fonds européen permanent pour financer des interventions d’urgence liant opérations de sécurité et humanitaires, l’envoi de Battle group, la mutualisation des capacités militaires, la construction d’armes innovantes tels les drones male ou predator sont autant d’avancées possibles. L’industrie de la défense à effets d’entraînement forts, mobilisant la recherche et utilisant des technologies avancées pourrait être un des pôles de la croissance européenne tout en contribuant à terme à une Europe de la défense[6]. Elle implique une préférence européenne s’inspirant du « buy américain » instauré par Roosevelt en 1933.

En conclusion, il importe de rappeler le tragique de l’histoire, le fait que la démocratie et la paix ne sont jamais des acquis définitifs et qu’il faut des décennies pour construire un édifice et des instants pour les détruire. L’histoire ne repasse pas les plats mais nous permet de nous souvenir de ce que fut la crise de 1929, la montée des totalitarismes, du populisme et des replis identitaires. La question fondamentale reste celle de la démocratie en termes de contre-pouvoirs, de séparation et d’équilibre des pouvoirs, de confrontations des intérêts et des valeurs pour fonder un bien commun et de reconnaissance des droits des minorités. Les grandes bureaucraties et empilements de structures de décision européennes sont dans l’incapacité de mettre en œuvre un tel projet. L’Europe donne l’impression d’un navire sans capitaine ,n’ayant pas défini un cap, confonté à des courants et des vents violents et affrontant des révoltes des membres d’équipage.

Refonder l’Europe suppose que pour chacune des grandes questions, la monnaie, la défense, le modèle social, la fourniture des services collectifs, les projets innovants, des « coopérations renforcées » soient passées entre membres de l’UE pour répondre à ces priorités et construire le devenir. De ces configurations à géométrie variable et formations de groupes autour de dynamiques spécifiques pourraient progressivement naître une Europe plus fédérale dans certains domaines où joueraient des transferts de souveraineté. Ce ne serait plus le couple franco-allemand qui jouerait le rôle de locomotive aujourd’hui poussive face à un nombre de wagons qui ne cesse de croître. Dans chacun des domaines prioritaires, certains leaders exerceraient un rôle moteur. Cette refondation peut conduire à plus de besoin d’Europe de la part des citoyens. Un nouveau souffle est nécessaire si l’on veut que le rêve européen ne devienne pas un cauchemar.

Fin

[1] Le mécanisme de résolution vise à répondre à une défaillance bancaire et sera activé par la Banque cdentrale européenne (BCE). Le conseil de résolution est composé d’experts permanents et de représentants des autorités nationales.Il fait des propositions qui doivent être entérinés par la commission européenne. Le fonds de résolution mis en place de manière progressive sur dix ans est financé par les banques elles mêmes. A terme il disposera de moyens financiers mutualisés. 

[2] Patrick Artus « Introduction du fédéralisme dans la zone euro :les avantages et les risques », Flash économie, n°284, 18 avril

[3] Roger Godino, Fabien Verdier « Vers la fédération européenne. L’Europe de la dernière chance « Policy paper , Notre Europe. Institut Jacques Delors janvier 2014

[4] J Habermas, La construction de l’Europe, Paris, Gallimard, 2012

[5] Faut-il rappeler que dans l’Europe en paix et respect des droits, près de 80% de la population voit l’avenir de manière pessimiste alors que dans l’Afrique de la pauvreté, vulnérabilité et conflictualité la proportion est inverse ?.

[6] Le Conseil européen de janvier 2014 a conduit à quelques avancées en termes de cyberdéfense, sécurité maritime, normes industrielles, certifications harmonisées, acquisition en commun de matériel (ex drones), projets d’industrie de la défense et future stratégieeuropéenne de sécurité commune