Quels chefs pour l’Union européenne ?

Après avoir renouvelé son Parlement, l’Union européenne est appelée à choisir son nouvel exécutif. Elle doit désigner le successeur de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission, celui de Donald Tusk à la présidence du Conseil européen et celui de Federica Mogherini comme haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, autrement dit le chef de la diplomatie. Trois postes qui suscitent des convoitises et surtout des polémiques entre les Etats membres. Les chefs d’Etat et de gouvernement chargés de proposer des noms pour occuper ces trois fonctions doivent en effet tenir compte de nombreux facteurs.

Politiques : chacun des trois groupes qui réunissent le plus grand nombre d’eurodéputés – les conservateurs, les sociaux-démocrates, les libéraux – demande sa part et pousse ses candidats. Géographiques : il faut, autant que possible, que les différentes parties de l’Europe – le Nord, le Sud, l’Est – soient équitablement représentées et aussi que les « petits » pays ne se sentent pas sacrifiés au bénéfice des « grands » pays. Sociétaux enfin : la diversité hommes-femmes est désormais un impératif catégorique. La réponse à ces exigences relève en partie du casse-tête, même si l’exécutif sortant avait su les satisfaire.

Mais la vraie difficulté est ailleurs. Elle tient à la nature même des fonctions que devront remplir les nouveaux dirigeants européens. En effet, l’exécutif bruxellois n’a pas de réel pouvoir de décision. Ce pouvoir est, pour l’essentiel, entre les mains des gouvernements nationaux. Le président de la Commission, appuyé sur sa solide armée de fonctionnaires européens, a d’abord un rôle d’animation, de réflexion, de proposition. De représentation aussi : il incarne à l’extérieur l’Union européenne et apparaît à l’intérieur comme le point d’équilibre du système. Ses services élaborent les lois et donnent forme aux orientations de l’UE. Mais sur la plupart des dossiers seuls les Etats membres, avec l’accord du Parlement, ont la capacité de décider.

Il en va de même du président du Conseil et du haut représentant pour les affaires étrangères. Leur rôle est de coordonner les politiques des Etats, l’un à l’occasion des sommets qui rassemblent plusieurs fois par an les chefs d’Etat et de gouvernement, l’autre sur les nombreux dossiers diplomatiques dont l’Union européenne est de plus en plus souvent saisie à mesure que s’affirme sa présence sur la scène internationale. L’un et l’autre assurent, comme le président de la Commission, la représentation extérieure de l’UE. On attend d’eux, sur tous ces sujets, qu’ils sachent faire travailler ensemble les différentes capitales européennes, malgré leurs divergences. Il leur appartient donc d’apaiser les inévitables tensions entre les Européens, de rapprocher leurs points de vue, de favoriser des compromis afin de donner à l’Europe, dans la mesure du possible, un visage uni.

Il faut, dans ces conditions, beaucoup de qualités pour diriger l’exécutif européen, que ce soit à la tête de la Commission, du Conseil ou de la diplomatie. Ces fonctions ne s’accommodent pas de personnalités faibles ou dénuées de tout charisme. Elles exigent des responsables qui ne craignent pas de s’affirmer face à des chefs d’Etat et de gouvernement jaloux de leurs prérogatives, tout en gardant leur confiance. Elles appellent des hommes ou des femmes qui sont capables de prendre des initiatives audacieuses et de donner des impulsions décisives dans les moments difficiles.

Le souvenir de Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, est resté pour ces raisons dans les mémoires. Jean-Claude Juncker, qui avait annoncé en prenant ses fonctions en 2014 une Commission « plus politique », s’est employé à relever ce défi, comme Donald Tusk à la tête du Conseil européen. Il reste encore beaucoup de chemin à faire, notamment pour convaincre des opinions publiques tentées par l’euroscepticisme. L’Union européenne a besoin de dirigeants forts et respectés, qui échappent à l’accusation de n’être que des technocrates sans envergure. Il n’est pas certain que les chefs d’Etat et de gouvernement, aussi Européens soient-ils, soient prêts à l’accepter, au risque de perdre une partie de leur pouvoir. Ce serait pourtant la meilleure manière de relancer la construction européenne.