Questions sur une intervention

 

Comme au Kosovo en 1999, en Afghanistan en 2002 ou en Libye en 2011, l’intervention française au Mali, qui a commencé le vendredi 11 janvier, soulève un certain nombre d’interrogations. Certes chaque cas est spécifique mais passé le premier moment où le jugement porte sur le principe même de la décision, des questions se posent sur les modalités et les conséquences.

Il y a quelques jours encore, les autorités françaises assuraient qu’elles n’interviendraient pas directement au Mali pour chasser les bandes de fondamentalistes islamiques et leurs alliés qui ont mis en coupe réglée le nord du pays. C’était aux Maliens eux-mêmes, aidés de leurs voisins africains, qu’il revenait de restaurer l’intégrité territoriale de cet Etat en voie de décomposition. Le rôle de la France et des Européens était seulement de les y préparer.

L’urgence en a décidé autrement. L’avancée des mouvements rebelles en direction de la capitale Bamako menaçait de transformer le Mali en une vaste « zone tribale », base arrière des fondamentalistes islamiques pour toute l’Afrique sahélienne, comme les « zones tribales » pakistanaises le sont pour les talibans afghans. François Hollande a jugé cette perspective intolérable et il a eu raison.

Il n’en reste pas moins que les incertitudes sont nombreuses. Dans un premier temps, l’action de la France, menée en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et à l’appel du président malien par intérim, a été bien reçue par les Maliens. Mais combien de temps – et combien d’éventuelles victimes civiles, car des « bavures » sont toujours possibles – faudra-t-il pour que l’opinion malienne se retourne et pour qu’une intervention « libératrice » soit vue comme une expédition néocoloniale ?

Le gouvernement français assure d’une part que l’intervention durera « le temps nécessaire » et d’autre part que la force africaine multinationale mise sur pied par la CEDEAO (la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) est appelée à prendre la relève. Mais nul ne sait quand cette force sera prête. Selon les plans initiaux, elle ne devait pas être opérationnelle avant l’automne. Les préparatifs pourront-ils être accélérés de telle sorte qu’elle le soit en quelques semaines ? Rien n’est moins sûr.

Or une chose est de disperser les bandes rebelles par des frappes aériennes sur les colonnes de pick-up et sur leurs bases-arrière, une autre est de reconquérir et de contrôler un désert, vaste comme la France et la Belgique réunies. Pour « tenir » le terrain, il faut des troupes au sol, avec tous les risques que comporte une telle présence. Ce devrait être la mission des soldats africains.

Où les groupes terroristes qui fuient les frappes de l’aviation française vont-ils se réfugier ? Ne vont-ils pas se disperser dans les pays voisins du Mali aux frontières mouvantes et poreuses, avec tous les risques de déstabilisation régionale ? L’Algérie a décidé de fermer sa frontière avec le Mali, mais il n’est pas sûr qu’elle soit en mesure de la contrôler véritablement. Tout le monde s’accorde aujourd’hui à penser que l’opération en Libye et la chute du régime Kadhafi a accéléré le déplacement des groupes djihadistes vers le Sahel, avec armes et bagages. Ce « dommage collatéral » de l’intervention en Libye avait été sous-estimé, voire ignoré. On ose espérer qu’il n’en est pas de même des répercussions de l’intervention au Mali sur l’ensemble de la région. Sans parler du sort des otages français aux mains des terroristes d’AQMI.

Enfin, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a usé à plusieurs reprises d’une formule qui ressemble fort à une antiphrase : La France, a-t-il dit, « n’a pas vocation à agir seule » au Mali. Force est cependant de constater qu’à part quelques avions de transport britanniques et quelques bonnes paroles d’autres partenaires européens, elle est bien la seule à d’être engagée. Sans doute est-elle la mieux placée, pour des raisons à la fois historiques et pratiques. Mais si l’installation des djihadistes dans tout le Mali est bien une menace pour l’Afrique toute entière et pour l’Europe, alors il est du devoir des Européens d’aller au-delà d’un simple soutien verbal. Si l’Union europenne a un sens, ses membres ne peuvent pas laisser la France faire seule le sale boulot et dénoncer ensuite la résurrection de la « Françafrique ».