La bataille pour la présidence de la Commission européenne est désormais engagée, à quelques mois de l’expiration du mandat de José Manuel Barroso. Comme tous les cinq ans les postulants font valoir leurs titres et affichent leurs prétentions. La différence avec les désignations précédentes est que, pour la première fois, la campagne ne se confine pas aux coulisses des chancelleries et aux antichambres des ministères, mais qu’elle se mène publiquement, devant les électeurs européens, qui auront à choisir, le 25 mai, non seulement leurs députés au Parlement européen mais aussi celui d’entre eux qui sera appelé à briguer la présidence de la Commission.
Il a été convenu en effet qu’en 2014 les chefs de file des grandes familles politiques qui s’affrontent aux élections européennes seront aussi les candidats à la succession de José Manuel Barroso. L’idée est que soient mis sur la place publique, pendant la durée de la campagne, non seulement les noms des postulants mais aussi leurs programmes. Auparavant le président de la Commission était désigné, après les élections européennes, dans le secret du Conseil européen par les chefs d’Etat et de gouvernement au terme de tractations discrètes et de marchandages obscurs, sans que l’on sache pourquoi, en définitive, l’heureux gagnant était choisi. La nouvelle procédure, en politisant les enjeux, est censée apporter plus de transparence et de démocratie.
Martin Schulz candidat des socialistes européens
Des deux grands courants politiques qui se partagent aujourd’hui la majorité des suffrages européens, les conservateurs du Parti populaire européen, auquel appartient l’UMP, et le sociaux-démocrates du Parti socialiste européen, dont le PS est membre, le second a su se mettre rapidement en ordre de bataille tandis que le premier est encore à la recherche de son chef de file. Les socialistes ont choisi de se rassembler autour du président du Parlement européen, Martin Schulz, un Européen convaincu dont chacun reconnaît à la fois la longue expérience, la forte volonté et l’habileté politique.
Il lui faudra beaucoup de talent, s’il est désigné, pour atteindre l’objectif qu’il s’est donné de « réconcilier l’idée européenne avec les attentes des citoyens ». Mais il ne manquera pas d’atouts, à commencer, bien sûr, par le soutien des électeurs européens. Rien n’assure que les socialistes seront capables de devancer leurs concurrents conservateurs, qui sont majoritaires dans l’actuel Parlement. Toutefois, au moment du vote, Martin Schulz pourra éventuellement compter sur le soutien des deux autres formations de gauche, la Gauche européenne, dont le chef de file sera le Grec Alexis Tsipras, une des figures de l’extrême-gauche européenne, et les Verts, qui auront pour leaders deux députés européens sortants, le Français José Bové et l’Allemande Rebecca Harms.
A droite, Barnier, Juncker ou un autre ?
Du côté du Parti populaire européen, la situation est plus confuse. Le seul candidat ouvertement déclaré est le Français Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services financiers. Mais il n’a pas que des amis. Ses atouts ? Sa bonne connaissance des institutions européennes, qu’il a pratiquées comme commissaire mais aussi comme ministre chargé successivement de l’environnement, des affaires européennes, des affaires étrangères, de l’agriculture ; son engagement pro-européen, qui ne s’est jamais démenti ; son esprit de consensus, qui le rend compatible avec le pouvoir socialiste en France. Mais ces atouts peuvent se retourner en handicaps aux yeux de ceux qui le jugent trop lié à la machine communautaire pour être capable de la critiquer et trop habitué aux compromis à la bruxelloise pour être l’homme du renouveau.
Un autre candidat potentiel vient de se mettre sur les rangs, l’ancien premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, que les dernières élections législatives ont libéré de ses fonctions gouvernementales. Grande figure de l’Union européenne, celui qui fut pendant huit ans le président de l’Eurogroupe possède la stature nécessaire pour succéder à José Manuel Barroso mais il ne bénéficie pas, semble-t-il, du soutien, considéré comme décisif, d’Angela Merkel. Les jeux ne sont pas faits. En attendant, d’autres noms circulent, comme ceux du premier ministre irlandais Enda Kenny, crédité du redressement de son pays, du premier ministre finlandais Jyrki Katainen ou du premier ministre polonais Donald Tusk, qui aurait décliné l’offre.
Les libéraux entre Verhofstadt et Rehn
La troisième formation du Parlement européen, celle des libéraux, pourrait avoir son mot à dire. Elle hésite entre l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt et le commissaire finlandais chargé des affaires économiques Olli Rehn. Ce sont deux personnalités de valeur. Excellent orateur, Guy Verhofstadt, qui préside le groupe libéral du Parlement européen, est un fédéraliste convaincu dont les idées sont largement diffusées. Moins éclatant, Olli Rehn s’est fait connaître en Europe par son énergie et sa ténacité pendant toute la durée de la crise. Il est toutefois peu probable que les libéraux devancent les conservateurs du Parti populaire européen aux élections du 25 mai.
L’extrême-droite, enfin, tente de s’organiser, sous l’impulsion de la Française Marine Le Pen, du Néerlandais Geert Wilders et de l’Autrichien Heinz Christian Strache. Elle devrait être la principale bénéficiaire du scrutin, sans pour autant pouvoir prétendre à la présidence de la Commission.
La désignation de chefs de file transnationaux par les partis en compétition aura le double effet de personnaliser les débats, qui seront incarnés par des leaders reconnus, et d’européaniser la campagne en accentuant sa dimension transnationale. Ces innovations sont un des moyens de lutter contre l’abstention, qui ne cesse de croître d’année en année, et de commencer à faire vivre un espace public européen.