Quitter l’Afghanistan

Nicolas Sarkozy se trouve dans la situation inverse de Barack Obama. Tous les deux se battent pour leur réélection cette année. Le président américain fait face à un dilemme à propos de l’Iran. Il doit se montrer ferme, jusqu’à envisager une action militaire contre les sites nucléaires de ce pays, s’il ne veut pas être accusé de faiblesse par ses adversaires républicains. Le président français au contraire doit peser les avantages et les inconvénients d’un retrait accéléré les soldats français d’Afghanistan. Son principal concurrent pour l’élection présidentielle a en effet annoncé que, s’il était élu, les troupes françaises auraient quitté l’Afghanistan à la fin de cette année.

Même si les considérations électorales ne seront pas les seules à déterminer la décision de Nicolas Sarkozy il est clair qu’un retrait rapide des forces françaises ne peut être que populaire. Dans la coalition internationale, le contingent français n’est pas celui qui a payé le plus lourd tribut. Les Britanniques ont eu plus de 300 morts. La France, quatre vingt deux, avec les quatre soldats qui ont été assassinés dans la caserne de la Kapisa où ils entrainaient les forces afghanes. Celles-ci sont supposées prendre la relève de la force internationale qui devrait avoir quitté l’Afghanistan à la fin de 2014, à la suite de la décision du président Obama.

C’était aussi le calendrier prévu jusqu’à maintenant par les dirigeants français. Nicolas Sarkozy attend la toute prochaine visite du président Karzaï à Paris pour décider une éventuelle accélération si la sécurité de nos troupes n’est pas suffisamment garantie. Mais la question n’est pas seulement de savoir quels sont les risques encourus. L’interrogation principale porte sur le sens de la mission. Plus de dix ans après le début de l’intervention, que fait la coalition internationale en Afghanistan ?

L’engagement a été décidé en octobre 2001 après les attentats contre le World Trade Center de New York et le Pentagone à Washington, par George W. Bush. Les alliés des Etats-Unis à l’OTAN et d’autres pays – la coalition compte plus de quarante pays – l’ont soutenu. Il s’agissait d’une part de mettre hors d’état de nuire Al Qaïda qui avait sa base en Afghanistan. Il s’agissait aussi de déloger les talibans du gouvernement de Kaboul. Certains néoconservateurs américains rêvaient même d’installer à leur place un gouvernement démocratique qui n’aurait rien eu à envier à la Suisse. Cette illusion coûteuse est dissipée depuis longtemps.

Oussama Ben Laden, le chef d’Al Qaïda, a été tué par les forces spéciales américaines. Pas en Afghanistan mais au Pakistan, là où semblent se concentrer aujourd’hui les restes des organisations terroristes les plus virulentes. Si les talibans ont été chassés du pouvoir, ils n’ont pas été vaincus. Les Etats-Unis vont entamer, au Qatar, des discussions avec ceux qui sont considérés comme les plus « modérés » d’entre eux. Il s’agit de préparer un gouvernement d’union nationale, si ce terme à un sens sur les pentes de l’Hindou Kusch, afin d’éviter que le pays ne sombre dans la chaos après le retrait des forces internationales en 2014.

En attendant, la principale justification de la présence internationale – et c’est principalement le cas pour la France – est d’entraîner les forces de sécurité afghanes. La mission est noble. Elle n’est pas totalement désespérée. Elle n’en est pas moins hasardeuse, tant les difficultés sont grandes. Même formés par les Occidentaux, les soldats afghans ne sont pas fiables. Leur allégeance va d’abord à leur groupe ethnique et non à un Etat corrompu qui a le défaut d’avoir été imposé de l’extérieur et d’être à la solde des étrangers. Après dix ans de présence, la coalition internationale est vue par une majorité des Afghans comme une force d’occupation.

Des progrès ont certes été accomplis dans certaines régions, notamment autour de la capitale Kaboul, dans les domaines de l’alphabétisation, des droits des femmes, etc. Mais les variations sur l’objectif de l’intervention – poursuivre Al Qaïda, chasser les talibans, construire un Etat moderne, etc. – montrent assez que les Occidentaux ne savent pas et ne peuvent pas bâtir l’Afghanistan à la place des Afghans.

Après dix ans, il est temps d’en tirer les conclusions. Nicolas Sarkozy a maintenu les soldats français en Afghanistan plus par solidarité avec les Etats-Unis que par conviction. Au moment où les Américains cherchent les meilleurs moyens pour se retirer, François Hollande a raison de penser que ce n’est pas à eux de dicter le calendrier pour les autres. Le risque est de voir arriver au pouvoir à Kaboul des groupes peu sympathiques à nos yeux ? Peut-être. Mais entretemps, le vrai danger s’est déplacé. Il n’est plus en Afghanistan. Il est au Pakistan.