Recomposition politique en Europe

Les élections européennes ont confirmé la recomposition politique qui se dessine depuis plusieurs années en Europe. Même si la poussée des forces nationalistes n’a pas pris l’allure du raz-de-marée que redoutaient certains, celles-ci consolident leur implantation dans la plupart des pays de l’Union. Elles ne progressent pas partout et sont même parfois en recul mais elles renforcent leur présence au Parlement européen où elles vont tenter de s’unir, malgré la persistance de sérieuses divergences, en particulier sur leurs relations avec la Russie.

Elles remportent même quelques belles victoires, notamment en France, où la liste du Rassemblement national devance (de justesse) celle de la République en marche, en Italie, où Matteo Salvani, le chef de la Ligue, est plus populaire que jamais, au Royaume-Uni, où la liste de Nigel Farage, le leader du Parti du Brexit, est largement en tête, ou encore en Pologne et en Hongrie, où la droite populiste, sous la houlette respective de Jaroslaw Kaczynski et de Viktor Orban, est plébiscitée.

Message anti-européen

Le message anti-européen des souverainistes de droite et d’extrême-droite trouve désormais une oreille attentive dans une partie de l’opinion publique européenne. Le poids de ces partis ne cesse de s’accroître. Le phénomène n’est pas nouveau. L’un après l’autre, la quasi-totalité des pays du Vieux Continent a été atteinte par la contagion du nationalisme. La montée en puissance de ces populismes arc-boutés sur la défense de l’Etat-nation face aux acquis de l’intégration européenne s’est exprimé, à l’occasion de ces élections européennes, à l’échelle de l’Union.

Sauf au Royaume-Uni, où le Brexit reste à l’ordre du jour, ces partis anti-européens ne demandent plus que leurs pays sortent de l’Union, mais ils ne cachent pas leur volonté de la miner de l’intérieur en investissant ses institutions. La bonne nouvelle est qu’ils demeurent minoritaires au sein du nouveau Parlement européen. Ils n’en ont pas moins accru leur capacité de nuisance.

La fin de la grande coalition

Le deuxième enseignement de ces élections est l’affaiblissement, en France comme ailleurs, des deux grands partis qui se partageaient le pouvoir à Bruxelles depuis quelques décennies : la droite conservatrice du Parti populaire européen et les sociaux-démocrates du Parti socialiste européen. Ces deux formations n’ont plus, à elles deux, la majorité au Parlement européen. La grande coalition qui gouvernait l’Union depuis sa fondation en se répartissant les postes et en élaborant des compromis sur les principaux sujets a perdu son hégémonie.

Le recul le plus spectaculaire s’est produit en France, où les Républicains, derrière leur chef de file, François-Xavier Bellamy, s’effondrent tandis que les socialistes, emmenés par Raphaël Glucksmann, ne font pas mieux qu’à l’élection présidentielle de 2017. Mais la plupart des Etats européens sont touchés. En Allemagne, la CDU-CSU d’Angela Merkel est en perte de vitesse comme son rival social-démocrate, le SPD. Au Royaume-Uni, les conservateurs comme les travaillistes sont sanctionnés par les électeurs. En Italie, les amis de Silvio Berlusconi comme les démocrates de Nicola Zingaretti, le successeur de Matteo Renzi, régressent. A quelques exceptions près, comme celle des socialistes espagnols ou celle des conservateurs grecs, les partis, de droite comme de gauche, qui ont porté la construction européenne sont partout en difficulté, faute d’avoir su renouveler leurs équipes et leurs idées.

Verts et libéraux à l’honneur

En revanche, le scrutin européen est favorable à deux forces montantes, celle des libéraux et celle des Verts, qui accroissent le nombre de leurs élus et apparaissent désormais comme les partenaires obligés des conservateurs et des sociaux-démocrates dans l’adoption des politiques européennes. La négociation à quatre sera certainement plus difficile que la cogestion à deux mais elle sera rendue nécessaire par la percée de ces deux formations dont la place était encore marginale dans le Parlement sortant mais qui devraient profiter dans le nouveau Parlement du recul de la coalition droite-gauche. Les libéraux sont parmi les plus fervents des pro-européens. Le président de leur groupe parlementaire, l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt, est une des grandes figures de l’Union européenne. C’est à ce groupe que devrait s’associer la République en marche en lui donnant, sous le patronage d’Emmanuel Macron, un nouvel élan. On notera qu’au Royaume-Uni les libéraux-démocrates sont devenus le deuxième parti derrière le parti du Brexit.

L’autre formation en flèche est celle des Verts, non seulement en France, où la liste d’EELV, conduite par Yannick Jadot, arrive en troisième position, mais aussi en Allemagne, où les Grünen deviennent le deuxième parti au détriment de la CDU-CSU et du SPD, doublant leur score de 2014. La préoccupation écologique est apparue au cours de la campagne comme l’une des plus partagées, notamment par les jeunes Européens. Elle s’est exprimée par des manifestations massives et des proclamations qui ont reçu un large écho. Du Royaume-Uni à la Finlande, en passant par l’Irlande et la Belgique, les écologistes obtiennent ainsi de bons scores dans plusieurs pays du Vieux Continent. Comme les libéraux, les Verts sont des Européens convaincus. Les succès de ces deux partis représentent donc un heureux antidote contre la poussée des nationalistes.