Réflexions sur l’exportation de la démocratie

Dans le Financial Times du 25 septembre, l’éditorialiste Samuel Brittan recommande la lecture d’un ouvrage récent permettant de réfuter sérieusement l’approche « moralisatrice-légaliste » en matière de politique internationale, approche souvent suivie par les néoconservateurs américains et certains de leurs amis européens. The Political Economy of Exporting Democracy, par Christopher Coyne, Stanford University Press (2007). 

Christopher Coyne, économiste de formation, a attentivement analysé les interventions militaires américaines depuis 1898 et leurs succès éventuels à propager la démocratie. Il commence par rappeler une citation de George W. Bush lors de son discours d’investiture en 2005, au cours duquel il affirme que la politique américaine doit soutenir « la croissance des mouvements démocratiques et des institutions dans toutes les nations et dans toutes les cultures, avec comme but ultime de mettre fin à la tyrannie dans le monde ». Que peut-on reprocher à cette louable déclaration d’intention apparemment inoffensive ? 

Le livre de Christopher Coyne nous l’explique précisément :

Le premier chapitre recense vingt-cinq processus de reconstruction ayant suivi une occupation militaire américaine. Coyne se demande combien ont réussi à établir une véritable démocratie, définie non pas seulement par la tenue d’élections libres mais par la garantie de libertés civiles et la présence de « contraintes institutionnalisées sur le pouvoir exécutif ». Le taux de succès, en plaçant le niveau d’exigence assez bas, est d’à peine 28% après cinq ans. Après vingt ans, il est de seulement 36%. La thèse principale du livre est que « alors que nous avons une bonne compréhension de ce que peut être une démocratie libérale, on en sait beaucoup moins sur comment arriver à un tel résultat là où elle n’existait pas déjà ». Certaines conditions préalables sont essentielles, et les conflits d’objectifs parmi les dirigeants militaires peuvent être désastreux. Mais, bien plus, l’hypothèse sous-jacente que les institutions libérales incarnent des valeurs universelles pourrait s’avérer ne pas être vraie.

La petite poignée de situation ayant réussi est dominée par des cas datant de la fin de la seconde guerre mondiale, comme l’Allemagne, l’Autriche, le Japon ou l’Italie. Coyne souligne à ce titre l’existence de pratiques démocratiques dans l’Allemagne et le Japon d’avant-guerre, que les dictatures n’avaient pas complètement anéanties.

Coyne est visiblement plus une colombe qu’un faucon. Mais il accepte la possibilité d’interventions pour des raisons humanitaires ou pour protéger les citoyens américains. Sa proposition principale est que l’on devrait éviter les interventions visant à construire une démocratie et privilégier le libre-échange, si nécessaire unilatéralement de la part des Etats-Unis. C’est peut-être là une déformation professionnelle pour les économistes que de surestimer les retombées bénéfiques de ce dernier. Mais la paix et le bien-être pourraient bien dépendre de la question de savoir si le prochain président partagera ou non les grandes lignes de cette analyse.