Avec son discours de Prague, Barack Obama a relancé le débat sur le désarmement nucléaire que d’anciens responsables américains avaient remis à l’ordre du jour dans une série d’articles dans le Wall Street Journal, en janvier 2007 puis en janvier 2008. « Les armes nucléaires étaient essentielles pour garantir la sécurité internationale pendant la guerre froide parce qu’elles étaient un moyen de la dissuasion, écrivaient George Shultz, ancien secrétaire d’Etat de Ronald Reagan, William Perry, ancien secrétaire à la défense de Bill Clinton, Henry Kissinger, ancien conseiller et secrétaire d’Etat de Richard Nixon et Gerald Ford, et le sénateur Sam Nunn. La fin de la Guerre froide rend obsolète la doctrine soviéto-américaine de dissuasion mutuelle. La dissuasion continue à avoir un sens pour beaucoup d’Etats compte tenu des menaces émanant d’autres Etats. Mais s’en remettre dans ce but aux armes nucléaires devient de plus en plus dangereux et de moins en moins efficace. »
1986-2009 : cheminement d’une idée
Mikhaïl Gorbatchev, qui avait évoqué pour la première fois le désarmement nucléaire total avec le président Reagan lors du sommet soviéto-américain de Reykjavik, en 1986, a soutenu cet appel qui a trouvé un écho auprès des dirigeants italiens, alors que l’Italie accueillera cet été la réunion du G8. Et c’est ainsi que ces anciens protagonistes de la Guerre froide se sont retrouvés pendant deux jours à la Farnesina, le ministère italien des affaires étrangères. Parmi les cinq pays nucléaires officiellement reconnus, seuls manquaient à l’appel des représentants de la Chine et de la France, bien que celle-ci ait été présente à travers Areva, le leader mondial de l’industrie atomique.
Il est probable que l’Italie mette le sujet du désarmement nucléaire à l’ordre du jour du G8. La tâche lui a été facilitée non seulement par le discours du président américain, qui faisait écho à un appel du premier ministre britannique Gordon Brown – la Grande-Bretagne se veut un « laboratoire du désarmement » —, mais aussi par la déclaration commune Obama-Medvedev à l’issue de leur rencontre, le 1er avril à Londres, en marge du G20. L’objectif de la réunion de Rome, organisée avec le World Political Forum, une fondation présidée par Mikhaïl Gorbatchev, était d’examiner la faisabilité du désarmement nucléaire, les conditions de sa réalisation, les étapes nécessaires et les rapports avec la lutte contre la prolifération.
La métaphore de l’Everest
Si un large consensus s’est dégagé sur l’objectif à long terme, les obstacles intellectuels et pratiques restent nombreux. Le sénateur Sam Nunn, un démocrate conservateur, qui a lancé la Nuclear Threat Initiative (Initiative contre la menace nuclaire, http://www.nti.org/), emploie une métaphore. L’option zéro pour les armes nucléaires est le sommet de la montagne. Il s’agit maintenant d’établir un « camp de base » à partir duquel il sera possible de l’atteindre. Quelle doit être la nature de ce, voire de ces, camps de base ? Le premier pas devrait être une réduction dramatique des arsenaux des Etats-Unis et de la Russie qui, à eux deux, représentent 95% des armes nucléaires dans le monde (15 000 têtes nucléaires pour la Russie, 10 000 pour les Etats-Unis, contre 350 pour la France, 200 pour la Grande-Bretagne et la Chine, et 200 à 350 pour les Etats nucléaires qui ne sont pas signataires du TNP, le Traité sur la non-prolifération de 1968, c’est-à-dire le Pakistan, l’Inde et Israël). Certains observateurs sceptiques se demandent même si le but de tout le débat autour du désarmement nucléaire n’est pas simplement de relancer les négociations entre Moscou et Washington, qui sont pratiquement au point mort depuis la fin de la Guerre froide.
Apartheid nucléaire
Quoi qu’il en soit, ce pas serait fondamental pour restaurer la crédibilité bien entamée du TNP alors qu’une conférence de révision est prévue pour 2010. Le TNP a créé, selon l’expression d’un participant, un « apartheid nucléaire » entre les puissances disposant légalement d’armes nucléaires – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, avec droit de veto – et les autres. Mais cette discrimination a été acceptée sur la base d’un donnant-donnant qui n’a pas été vraiment respecté : les puissances nucléaires conservaient leur monopole à condition de s’engager dans un processus de désarmement ; les Etats non-nucléaires s’engageaient à le rester à condition de pouvoir bénéficier de l’usage civil de l’énergie nucléaire.
La prolifération des Etats nucléaires, qui n’a cependant pas pris les proportions redoutées par certains au sortir de la Guerre froide, a porté un coup au TNP. Tous les cas de figure se présentent : pour développer son programme nucléaire militaire, la Corée du Nord est sortie du TNP après l’avoir signé ; l’Israël, le Pakistan et l’Inde ne l’ont pas signé, mais cette dernière se vante de le respecter contrairement à d’autres Etats qui l’ont signé mais le tiennent pour un chiffon de papier. C’est l’Iran qui est visé par cette remarque. Plus grave, cette prolifération s’est produite parfois avec la complicité active de certaines puissances nucléaires qui s’étaient pourtant engagées en faveur de la non-dissémination. Un des premiers « camp de base » vers le zéro global serait donc le respect des engagements du TNP, un durcissement de ses règles et une vérification plus étroite de son respect, grâce à des moyens accrus accordés à l’AIEA.
Questions ouvertes
Une autre question, débattue à Rome, est de savoir si le désarmement nucléaire doit procéder d’un accord global ou s’il peut être obtenu progressivement par divers accords régionaux aboutissant à la création de zones dénucléarisées dans des régions minées par des tensions, le Proche-Orient par exemple. Dans les années 1960-1970, le plan Rapacki, du nom du ministre polonais des affaires étrangères, proposait la dénucléarisation de l’Europe. Il avait été refusé parce qu’il revenait à laisser l’Europe à la merci de l’arsenal nucléaire soviétique.
Cette observation amène une autre question. Le nucléaire ne dissuade pas seulement le nucléaire. Du temps de la guerre froide, l’armement nucléaire américain en Europe avait aussi pour but de rétablir l’équilibre avec l’URSS qui possédait sur le Vieux continent une supériorité en termes d’armements classiques. Les armes nucléaires peuvent donc être là pour dissuader une agression avec des armes classiques. En tous cas, elles peuvent répondre à d’autres armes de destruction massive, biologiques ou chimiques.
Les efforts de réduction des armements ne doivent pas se limiter aux armes nucléaires mais concerner aussi une conception plus large de la sécurité internationale. Il ne s’agit pas de bannir les armes nucléaires, à cause de leur « immoralité », pour laisser les guerres conventionnelles se développer sans frein. Reste encore le problème de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et de la frontière fragile existant entre le civil et le militaire. Les risques viennent des techniques de l’enrichissement de l’uranium qui peuvent échapper à la vigilance des contrôleurs de l’AIEA. L’idée d’une banque internationale des matières fissiles fait son chemin. Le principe une fois acquis, il restera à déterminer sa localisation, son statut, le rôle de ses administrateurs et l’engagement des divers Etats.