Réintégrer l’OTAN, et après ?

La décision est prise et officialisée : la France rentre dans le commandement intégré de l’OTAN. La question n’est donc plus « doit-on réintégrer l’OTAN ? » mais « et maintenant, qu’y fait-on ? ». Que faire de l’Alliance ? Depuis la fin de la guerre froide et la disparition de ses raisons d’être originelles, l’organisation se cherche un nouveau rôle sans l’avoir encore trouvé.

Il n’est pas inutile de rappeler quelques traits originels de l’Alliance. L’organisation a été créée pour contrer les ambitions de l’URSS en implantant les Etats-Unis en Europe à travers un réseau de bases militaires. Le premier secrétaire général de l’Alliance, Lord Ismay, résumait cette vocation en une formule : « keep the Americans in, the Russians out and the Germans down ». Le Traité de l’Atlantique Nord institutionnalisait cette garantie de sécurité à travers son article 5, tout en la limitant à la seule légitime défense (très clairement exprimée dans cet article, avec référence à l’article 51 de la Charte des Nations-Unies), et en la bornant géographiquement (« de la région de l’Atlantique Nord au nord du Tropique du Cancer »). Il n’était alors question ni de guerre préventive, ni de propagation de valeurs ou de diffusion de la démocratie, ni d’élargissement du champ d’intervention de l’Alliance à l’ensemble du globe. L’OTAN a été conçue comme une alliance défensive sur un territoire limité dirigée contre une menace précise. 

Ce rôle a parfaitement été rempli durant la Guerre Froide, et la présence américaine en Europe a permis à la dissuasion de jouer à plein. L’accession de la France dans les années 1960 au statut de puissance nucléaire autonome la fit progressivement moins dépendre de ce « parapluie américain » pour sa propre sécurité que les autres alliés, jusqu’à ce qu’elle quitte le commandement intégré en 1966. Mais elle ne quitta par pour autant le « camp occidental », loin de là, et la solidarité entre Alliés ne faiblit guère. L’Alliance traversa ainsi toutes les crises de la Guerre Froide, dont certaines visaient justement à tester la solidité de cette solidarité occidentale, à l’instar de la crise des Euromissiles, qui voulait « découpler » l’Europe des Etats-Unis, donc briser la solidarité transatlantique, sans effet.

L’OTAN a même continué à « assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord » à la fin de la Guerre Froide, en constituant un outil essentiel de cohésion européenne. Lors de cette période de transition assez brutale, l’Alliance a permis d’offrir rapidement à ces pays la garantie et l’horizon occidental qu’ils recherchaient, tout en contrôlant de plus ou moins loin la Russie.

L’impossible « refondation » de l’Alliance

Mais une fois la menace extérieure que constituait l’URSS définitivement disparue et l’Europe stabilisée, l’Alliance n’a plus eu de raison d’être évidentes. Elle a donc cherché à se réinventer : le sommet des 50 ans de l’OTAN, à Washington en 1999, puis le sommet de Prague en 2002 parlaient déjà d’une exigence de « refondation » de pour « adapter l’Alliance aux nouvelles menaces et au défi de la sécurité du 21ème siècle ». Mais les initiatives alors lancées furent toutes des déceptions.

La première idée, celle d’utiliser l’OTAN à des fins de « défense contre le terrorisme », s’est essentiellement traduite par la mise en place d’une Unité de renseignements permettant le partage d’informations. Maigre butin. Il est vrai que les praticiens ayant vite réaffirmé que, malgré les discours de l’administration américaine sur la « guerre contre le terrorisme », celle-ci relevait essentiellement d’opérations de police ou de renseignement, il était difficile pour l’Alliance d’aller beaucoup plus loin.

Le renforcement de l’intégration et de la réactivité des forces, à travers la mise en place d’une force de réaction rapide (la Nato Response Force) mobilisable très rapidement et projetable partout dans le monde pour toute une palette de mission ne s’est pas non plus réellement développé. Trop coûteuses, ces forces, théoriquement opérationnelles depuis fin 2006, n’ont en fait été mobilisées que pour des opérations de logistique humanitaire, par exemple pour porter secours aux victimes de l’ouragan Katrina…

Quant à la recherche d’un lien accru entre l’UE et l’OTAN, constamment rappelé depuis la fin de la guerre froide, il s’est toujours confronté à des obstacles sérieux. Le sommet de Berlin de 1996, renforcé par le sommet de Washington de 1999 (à travers un mécanisme dit « Berlin plus ») prévoyait la possibilité de mettre à disposition de l’UE, pour des actions qu’elle souhaiterait engager en propre, des moyens de l’OTAN. Pour cela était crée au sein de l’OTAN une sous-institution, l’IESD (Identité Européenne de Sécurité et de Défense). C’est à travers ce mécanisme que l’UE a pu, par exemple, engager l’opération « Concordia » en Macédoine. Mais rapidement, dès que cette identité a voulu devenir plus autonome, les Américains se sont effrayés. En 2003, alors que l’Etat-Major de planification européen revendiquait un début d’émancipation politique, les Etats-Unis ont fait savoir qu’ils étaient contre, dénonçant une « duplication inutile », et des « risques de concurrence ». Les divisions entre Européens ont fait le reste, et l’IESD ne fut pas autonome.

Le sommet de Strasbourg-Kehl doit se pencher encore une fois sur l’avenir de l’Alliance. Nul doute qu’en sortiront d’autres initiatives. Mais il est peu probable que soient clarifiées deux questions essentielles, celle des limites fonctionnelles de l’organisation, et celle de son rôle politique. Deux questions de fond, jamais explicitement tranchées, qui déterminent pourtant tout le reste.

Sécurité globale

Personne n’est capable aujourd’hui de répondre clairement cette question. De quoi doit s’occuper l’Alliance, quel est son champ fonctionnel ? Doit-elle rester une alliance militaire défensive, ou au contraire élargir ses missions à cet ensemble flou qu’est la « sécurité globale » ? Doit-elle s’occuper du changement climatique, des catastrophes naturelles, de la sécurité civile (l’OTAN a été jusqu’à participer à la sécurité de la Coupe du monde de Football et des JO d’Athènes en 2002…), des pandémies, de l’immigration, voire même du terrorisme ? De nombreuses institutions internationales (de l’ONU à l’Union européenne) s’occupent déjà de beaucoup de ces sujets. L’OTAN doit-elle elle aussi s’occuper de tout, au risque de n’avoir plus d’identité fonctionnelle ?

Rien n’est moins sûr. Cette fuite en avant dans les missions, qui éloigne de plus en plus l’OTAN de son savoir-faire initial, semble parfois traduire une quête sans fin d’auto-justification. Elle pose une quantité de questions qui brouillent les messages : toutes ces actions doivent se faire avec qui, comment, contre qui ? De nombreux praticiens pointent ici un risque « d’affaiblissement » de la garantie de l’article 5 dans une Alliance diluée, transformant l’OTAN en une sorte de « Club des contributeurs » au profit d’interventions extérieures tous azimuts, mais calées essentiellement sur l’agenda américain compte tenu du poids inéquilibrable de ceux-ci au sein de l’Alliance.

Mais ce débat est rarement abordé. Il est vrai que les réponses à ces questions peuvent emmener loin, et finir par poser la question de la survie de l’Alliance. Si celle-ci ne peut en effet ni continuer à être une simple alliance défensive comme elle l’était à l’origine, ni se muer en un instrument de réponse aux nouvelles menaces faute de définition partagée de celles-ci et de consensus sur les réponses à apporter, elle serait alors condamnée à disparaître. Ou, au mieux, pour reprendre le mot de François Mitterrand à la fin de sa présidence, à devenir un « monument historique » : à la fois inutilisable mais indéboulonnable.

L’OTAN, une "sous-ONU" ?

Ce qui rejoint la seconde question, celle de la politisation de l’Alliance. Le désaccord porte en fait sur la part du rôle politique et du rôle militaire de l’OTAN. Les Etats-Unis, dans leur recherche d’un nouveau paradigme mondial post-Bush mais pas encore complètement libérés de leur héritage néo-conservateur, veulent parfois transformer l’OTAN d’une alliance militaire défensive à une sorte de Charte offensive de principes moraux et politiques, à travers son élargissement sans fin (au Japon, à l’Australie, à la Corée du Sud ou à Israël) et une volonté de l’engager hors de sa zone naturelle d’opération (comme c’est actuellement le cas en Afghanistan). C’est l’idée d’une « Global Nato » défendue par nombre d’analystes et de politiques américains, dont Ivo Daalder, pressenti pour être l’ambassadeur de l’administration Obama auprès de l’organisation.

Ce qui est recherché par ces analystes américains, plus ou moins explicitement, à travers une telle politisation de l’Alliance, c’est un cadre de légitimation politique pour l’action des Etats-Unis dans le monde, une sorte de sous-ONU plus facile à maîtriser car constituée exclusivement de pays amis. L’aventure irakienne a imprimé dans la pratique américaine tout à la fois la difficulté, sinon l’impossibilité d’agir seul dans un monde complexe, tout comme, en miroir, l’impossibilité d’obtenir un consensus universel sur les valeurs occidentales. D’où l’idée de rechercher non plus l’onction d’une « communauté internationale » introuvable, mais d’une « communauté des démocraties », substitut égal sinon supérieur en valeur puisque garantissant que l’on agit conformément aux valeurs démocratiques.

Dans cette optique, l’OTAN a vocation à trouver un vrai rôle politique. Elle pourrait servir de forum de discussion tous azimuts entre Occidentaux, et pourrait prendre le relais de la « communauté des démocraties » qu’avait lancé à Vienne en 2000 Madeleine Albright, mais qui n’a jamais vraiment décollé, ou matérialiser la « ligue des démocraties » dont il a été abondamment question durant la campagne présidentielle américaine. Au risque de favoriser la vision obsidionale d’un bloc occidental à qui il faudrait ajouter un bras armé pour défendre ses valeurs, ce qu’Hubert Védrine avait qualifié « d’occidentalisme ». Au risque de susciter parallèlement la perception de l’Alliance, chez les pays exclus de cette communauté, comme une organisation se voulant le gendarme d’un monde occidental bien pensant mais en fait dirigée contre eux. Bref, il n’est pas sûr qu’une « Global Nato » politisée apporte plus de sécurité qu’elle ne provoque de tensions.

C’est ce débat qu’il faudra avoir une fois l’OTAN réintégrée. On pourrait regretter de ne pas l’avoir eu avant. La France aurait pu annoncer qu’elle était prête à réintégrer pleinement l’Alliance à condition que de nouveaux objectifs clairs soient définis à ce projet. Elle aurait alors provoqué le débat. Elle ne l’a pas fait, et a préféré réintégrer une organisation qui se cherche, soumise à l’influence de divers groupes de pressions, sans aucune garantie que si un jour ces questions se posent explicitement, sa voix sera entendue. Raison de plus pour avoir une vision claire du rôle que l’on voudrait faire jouer à cette alliance dans le monde.