Réinventer l’Etat providence

Le diagnostic de Jacques Delors est sans appel : l’Etat Providence est en crise. L’ancien président de la Commission européenne, qui vient de quitter la présidence du CERC (Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale) dont il a animé les travaux durant huit ans, conclut à une crise d’efficacité, voire de légitimité.

Les raisons de cette crise sont multiples : l’individualisation croissante de nos sociétés qui remet en question les fondements de l’Etat social, la crise de gouvernance et la répartition confuse des responsabilités entre l’Etat proprement dit, les collectivités territoriales et les partenaires sociaux. L’Etat doit donc répondre de manière d’autant plus urgente à cette situation que la crise financière et économique que traverse notre pays à l’instar des autres pays industrialisés accroît les risques de décrochage pour une partie de la population et creuse les écart.

Jacques Delors et Michel Dollé, dans l’ouvrage qu’ils viennent de publier sous le titre « Investir dans le social » (éditions Odile Jacob), appellent donc de leur vœu un Etat d’investissement social qui ne soit pas un substitut à l’Etat providence mais qui en soit le prolongement. Se référant largement à la théorie de la Justice de l’américain John Rawls, ils préconisent un investissement massif dans l’emploi, la formation et l’éducation ainsi que dans la politique familiale.

Inversant le raisonnement de l’après-guerre, ils estiment que ce n’est plus l’emploi qui doit conduire à la protection sociale mais celle-ci qui doit favoriser l’accession ou le retour à l’emploi, celui-ci étant un élément essentiel d’intégration et de citoyenneté. Focaliser l’effort de l’Etat sur ces trois secteurs -emploi, éducation, politique familiale- est, selon les auteurs, non seulement le moyen de préserver l’égalité des chances mais plus encore de favoriser l’égalité des capacités. On lira avec beaucoup d’intérêt les propositions formulées par les deux auteurs dans ces trois domaines. Alors que l’on commence à s’interroger sur l’architecture sociale et économique de nos sociétés quand viendra la sortie de crise, voici une œuvre réformatrice qui a la double vertu d’innover et d’anticiper.