Relance de l’Europe ou alibi germanophone

Jean-Marc Ayrault revient dans le gouvernement français en tant que ministre des affaires étrangères près de deux ans après avoir perdu son poste de Premier ministre. Les commentaires qui ont accompagné cette nomination se sont pour la plupart intéressés à sa signification politique pour ne pas dire partisane. François Hollande rappelle un vieil allié congédié en mars 2014 sans trop de ménagement afin de neutraliser sinon un frondeur, au moins un ronchon bien vu dans la gauche du Parti socialiste.
Même si le président de la République ne s’est pas aventuré dans le domaine de la politique européenne lors de son intervention télévisée qui a suivi le remaniement ministériel, le retour de Jean-Marc Ayrault, qui plus est à la tête de la diplomatie française, pourrait avoir aussi un sens « européen ». D’autant plus que l’Europe a été négligée par Laurent Fabius que poursuit le souvenir de son rejet du Traité constitutionnel en 2005.
Le « nouveau » ministre est un européen convaincu dans la bonne tradition de la social-démocratie française. Professeur d’allemand de formation, il peut s’entretenir dans leur langue avec les dirigeants de Berlin. Les connaissances linguistiques certes ne font pas tout. Laurent Wauquiez et Bruno Le Maire sont deux germanistes. Ils n’ont pas laissé un souvenir impérissable au ministère des affaires européennes sous la présidence Sarkozy. Il est vrai qu’on ne leur en a pas donné le temps. Mais la pratique de la langue de l’autre permet des dialogues plus directs. Bien qu’elle puisse conduire aussi à des malentendus. Premier ministre, Jean-Marc Ayrault avait, dans une intervention en allemand, commis un regrettable lapsus en qualifiant les rapports franco-allemands de furchtbar (horribles) au lieu de fruchtbar (fructueux). On lui pardonnera.
Cette pratique de la langue est aussi un bon exemple pour les élèves et les étudiants des deux pays alors que les plaintes sur la baisse de l’apprentissage de la langue du partenaire sont permanentes des deux côtés du Rhin. Jean-Marc Ayrault a d’ailleurs protesté contre le projet de Najat Vallaud-Belkacem, la ministre française de l’éducation nationale, de supprimer au collège les classes d’excellence bilangues.
Depuis l’élection de François Hollande en 2012 et la réélection d’Angela Merkel l’année suivante, les relations franco-allemandes sont au plus bas. Les deux dirigeants se contentent de colmater les brèches dans les rapports bilatéraux et d’assurer le service minimum dans les affaires européennes. Aucune impulsion décisive n’est venue des deux pays au cours de ces dernières années. Les sujets de dissension sont soigneusement camouflés sous des compromis a minima mais les divergences de fond ne sont pas traitées, que ce soit l’avenir de l’euro et de la politique économique européenne ou la crise des réfugiés. Seuls le risque de guerre en Europe avec l’agression russe en Ukraine, et dans une moindre mesure la menace terroriste, ont donné lieu à une démarche commune.
La montée des partis populistes et souverainistes, d’abord en France puis maintenant en Allemagne, ne facilite pas une relance de l’intégration européenne. Qu’ils soient convaincus ou non de sa nécessité, ni Angela Merkel ni François Hollande ne semblent disposés à développer une vision dynamique de l’Europe allant au-delà de la pénible recherche de solutions aux problèmes les plus pressants. A un an du renouvellement éventuel de son mandat, il est peu probable que le président français prenne le risque de relancer un débat de fond sur l’Europe. Le traumatisme de 2005 n’est pas effacé. Premier secrétaire du Parti socialiste, il avait alors gagné une consultation interne sur le Traité constitutionnel pour voir ensuite le texte rejeté par référendum, avec l’appui d’une bonne partie de ses « amis » politiques.
Dans ces conditions il est à craindre que Jean-Marc Ayrault, malgré sa bonne volonté, ne puisse guère aller au-delà des belles déclarations d’intention… y compris en allemand.