Repenser l’Europe face à un monde qui change

Le géographe et diplomate Michel Foucher invite les Européens à négocier leur « reclassement » dans un monde qui change. Il les appelle à harmoniser leurs visions en se donnant « une claire image d’eux-mêmes ».   

Pour défendre ses intérêts et maintenir son influence, l’Europe, explique Michel Foucher, ancien ambassadeur de France en Lettonie, aujourd’hui professeur à l’Ecole normale supérieure et directeur de la formation à l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), l’Europe doit agir à plusieurs échelles.

La première est celle de l’Union européenne, c’est-à-dire de « l’Europe instituée », qui s’est construite par des élargissements successifs. La deuxième est celle de son voisinage proche, au Sud et à l’Est, appelé à conclure avec elle des accords d’adhésion ou, le plus souvent, d’association. La troisième est celle de son voisinage plus éloigné (trois à six heures de vol depuis Bruxelles), qui inclut l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Afghanistan. La quatrième, enfin, est l’échelle mondiale, qui s’exprime dans les grandes négociations internationales.

Repenser le projet européen

Invité de l’émission « Parcours européen » sur Fréquence protestante, samedi 15 octobre, pour parler de son dernier livre, La Bataille des cartes (Editions François Bourin), Michel Foucher souligne que les Européens doivent être présents à ces quatre biveaux – non pas dans une « logique messianique », au nom d’on ne sait quelle « mission » historique ou culturelle, mais par réalisme politique. Or, à chacune de ces échelles, l’Europe connaît aujourd’hui de graves difficultés.

"L’heure de gloire d’une Europe démocratique et élargie sans coup férir après 1989 semble passée", estime-t-il. Pour lui, l’émergence de nouvelles puissances, qui redistribue les cartes sur la scène internationale, va contraindre les Européens à négocier leur « reclassement » dans une configuration « aux centres de pouvoir et d’influence multiples ». Ces changements les invitent à « repenser le projet européen ».

La crise du capitalisme réel

Ce projet doit inclure les diverses échelles recensées par l’auteur. Au niveau 1, en effet, même si l’UE a bien géré la « crise du socialisme réel » en accueillant les anciens pays communistes, la « crise du capitalisme réel » accentue ses divisions : faute d’une menace extérieure fédératrice, comme l’était l’URSS, elle a beaucoup de mal à s’entendre. Au niveau 2, la politique d’ « européanisation » s’épuise : au Sud, l’Europe est restée spectatrice des révolutions arabes, et n’est pas intervenue en tant que telle en Libye ; à l’Est, des pays comme la Bosnie ou l’Ukraine demeurent éloignées des normes démocratiques.

Le niveau 3 est le plus problématique : l’Europe « ne pèse absolument rien » sur le règlement du conflit israélo-palestinien, elle est « démunie » face à l’évolution algérienne ou à la révolte syrienne. Au niveau 4, enfin, celui de l’échelle planétaire, l’Europe active, notamment en matière de commerce extérieur, de normes environnementales ou d’aide au développement, mais elle manque d’un « projet géopolitique » commun aux trois grands Etats que sont l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, dont les visions demeurent divergentes. 

Des intérêts européens bien définis

« L’Union européenne pèse sur les affaires mondiales par son expérience de la gestion collective et concertée des dossiers, sa puissance normative et, lorsqu’elle peut présenter des positions communes, sur la base d’intérêts européens bien définis, note Michel Foucher. Mais les Européens ont-ils acquis une claire image d’eux-mêmes ? Capables de positions communes, ils pèsent. Divisés, ils subissent ».

Ce constat indique la voie à suivre, celle de l’unité. Faut-il aller vers un « fédéralisme » européen ? Michel Foucher se dit sceptique à l’égard d’un concept « beaucoup trop général ». Il en appelle à plus de pragmatisme, sur le modèle de l’accord franco-britannique sur la défense, où l’on a procédé « à la britannique », c’est-à-dire sans commencer par affirmer des grands principes mais en énonçant « une série de besoins ». « Les défis sont tellement grands, conclut l’auteur, que la réponse n’est pas dans la dimension fédérale mais dans la décision pragmatique ».