Repenser les relations avec Moscou

En arrivant à la Maison blanche en 2009, Barack Obama avait annoncé un « reset » entre les Etats-Unis et la Russie. Il voulait améliorer les relations entre les deux pays qui avaient souffert lors des deux mandats de George W. Bush. Ces intentions ont été ébranlées par la politique de Poutine. La crise ukrainienne exige une nouvelle remise en cause de la stratégie vis-à-vis de la Russie.

En arrivant à la Maison blanche en 2009, Barack Obama avait annoncé un « reset » entre les Etats-Unis et la Russie. Il voulait améliorer les relations entre les deux pays qui avaient souffert lors des deux mandats de George W. Bush. Avec le président républicain, tout avait pourtant bien commencé. Rencontrant pour la première fois le chef du Kremlin, George Bush fils avait cru voir au fond de ses yeux « l’âme » de Vladimir Poutine. Mais l’espèce de solidarité antiterroriste manifestée après les attentats du 11 septembre 2011 n’avait pas duré longtemps. Elle n’avait en particulier pas survécu à l’invasion américaine de l’Irak deux ans plus tard.

Le « reset » n’a pas eu beaucoup plus de succès. Au cours du premier mandat da Barack Obama les conditions semblaient pourtant favorables. Au Kremlin, Poutine avait – provisoirement – cédé la place à Dmitri Medvedev qui passait pour plus « libéral » que son mentor. Et en effet, en avril 2010, les présidents russe et américain se sont mis d’accord sur un nouveau traité START afin de limiter à 1550 les têtes nucléaires et à 700 les missiles intercontinentaux de chaque pays. Le président français Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel misaient aussi sur Medvedev pour créer un nouveau climat de confiance en Europe.

C’était sans compter sur la dépendance du jeune et intérimaire président russe et sans la volonté de Poutine de garder le contrôle de la politique russe avant de retrouver la présidence. L’éclaircie Medvedev, qui s’est aussi manifestée par l’abstention de la Russie au Conseil de sécurité au moment de l’intervention occidentale en Libye, n’aura été qu’une brève parenthèse. Depuis le retour de Poutine au Kremlin les relations russo-américaines se sont à nouveau détériorées. Guerre en Syrie où chacun a choisi son camp, déploiement du bouclier antimissile américain en Europe que les Russes considèrent dirigé contre eux, liste Magnitski, du nom de l’avocat Sergueï Magnitski mort en prison à Moscou – cette liste interdit à certains responsables russes d’obtenir des visas pour les Etats-Unis et y gèle leurs avoirs –, et surtout affaire Snowden, du nom de ce whistleblower réfugié en Russie après avoir dénoncé les écoutes de la NSA, etc. la liste est longue des sources d’irritation entre Moscou et Washington. 

Jusqu’à la crise ukrainienne, le point culminant de la tension avait été atteint en septembre 2013, lors du sommet du G20 de Saint-Pétersbourg. Pour protester contre l’asile politique accordé par Moscou à Edward Snowden, Barack Obama avait annulé une visite bilatérale et entretien en tête à tête avec Vladimir Poutine. Entretemps cependant, Bachar el-Assad avait employé des armes chimiques contre sa propre population, obligeant les présidents russe et américain à agir ensemble. Pour empêcher les Etats-Unis de mettre à exécution leur menace de bombarder la Syrie pour « punir « Assad, Poutine a réussi un coup diplomatique : il a proposé une destruction, sous contrôle international, de l’arsenal chimique syrien. Obama ne pouvait qu’accepter, donnant l’impression d’une connivence russo-américaine qui marginalisait les Européens, notamment le président français François Hollande. Toutefois cet accord tactique ne pouvait effacer les conséquences du soutien de Moscou à Assad et de l’aide américaine aux insurgés syriens.

La crise ukrainienne intervient donc dans un climat troublé. Barack Obama s’interrogeait sur les véritables intentions de Vladimir Poutine. Sa perplexité était renforcée par l’absence de spécialistes de la Russie dans son entourage et dans les principaux think tanks américains. Avec la disparition de l’URSS au début des années 1990, les vieux kremlinologues ont pris leur retraite et n’ont pas été vraiment remplacés alors que la Russie semblait devenir un pays « normal ». A quoi s’ajoute le fait que l’intérêt d’Obama pour l’Europe a toujours été pour le moins limité, comparé à son tropisme asiatique.

L’offensive de Vladimir Poutine en Crimée oblige les Américains – et les Européens – à un nouveau « reset » de leur politique vis-à-vis de la Moscou et avant tout à un « reset » de leurs analyses des ambitions russes. Après la disparition du camp socialiste, les Occidentaux ont eu une attitude contradictoire. Ils se sont comportés nolens volens comme s’ils avaient été les vainqueurs de la guerre froide tout en cherchant à intégrer la Russie dans un monde globalisé à la mode occidentale. Ils se méfiaient des intentions de Poutine obsédé par la volonté de redonner à son pays son statut de grande puissance. Mais ils ne s’imaginaient pas qu’au-delà de son pouvoir de nuisance, le président russe participerait au démantèlement d’un Etat dont la Russie s’était engagée à garantir l’intégrité territoriale. Comme aux premiers jours de la guerre froide.

Ni les Européens, ni les Américains ne veulent s’engager dans un conflit armé pour Sébastopol. Mais entre contenir la poussée russe et maintenir le dialogue avec le Kremlin, la voie est étroite. Le nouveau « reset » exclut toute naïveté.