Résister aux populismes

Dans de nombreux pays, des partis populistes, habiles à se réclamer du peuple contre les élites, sont passés maîtres dans l’art de conquérir le pouvoir. Les exemples abondent, de Donald Trump aux Etats-Unis à Jair Bolsonaro au Brésil, en passant par Viktor Orban en Hongrie et Recep Tayyip Erdogan en Turquie. Mais une fois le pouvoir conquis, le défi que doivent relever ces nouveaux potentats est de savoir comment le conserver. En effet, l’exercice du pouvoir ne peut pas obéir aux mêmes règles que sa conquête.

Investis de nouvelles responsabilités qui les obligent à respecter le principe de réalité après l’avoir longtemps oublié, ces champions de la démagogie risquent de susciter chez ceux qui les ont soutenus une vague de déception, voire de frustration. Il vient un moment où l’esprit de contestation qu’ils ont encouragé pour vaincre les gouvernements sortants risque de se retourner contre eux.

Ce moment est-il venu ? Même si les populistes semblent bien enracinés dans les pays où ils sont aux commandes, même s’ils y sont désormais des acteurs à part entière de la vie politique, et non plus des dissidents radicaux installés aux marges du système, quelques signaux suggèrent que leur autorité s’érode ici ou là et qu’ils commencent à pâtir de la difficulté de passer de la fonction tribunicienne, c’est-à-dire purement protestataire, qui a contribué à leur ascension, à la fonction gouvernementale.

Trump menacé de destitution

Dans le même temps, l’opposition s’organise. Elle s’efforce de rassembler et de mobiliser ceux qui appellent à résister, au nom de l’Etat de droit, à la montée des populismes. Elle se saisit des moyens dont elle dispose, à commencer par les procédures électorales, pour tenter de mettre à profit les premiers signes de désaffection. Elle entend incarner, elle aussi, cette volonté populaire dont les populistes s’affirment les seuls représentants.

Le retournement le plus spectaculaire concerne Donald Trump, l’imprévisible président américain dont la victoire inattendue sur Hillary Clinton en 2016 a longtemps laissé les démocrates sans réponse. Mais voici que ceux-ci relèvent la tête et que l’inquiétude gagne désormais le camp républicain. Les démocrates ont d’abord reconquis la Chambre des représentants aux élections de mid-term. Ils s’attaquent aujourd’hui directement au président en lançant contre lui une procédure d’impeachment qui place la Maison Blanche sur la défensive en révélant les pratiques douteuses de l’équipe présidentielle et les manœuvres critiquables de Donald Trump lui-même.

Nul ne peut dire si la procédure ira à son terme mais d’ores et déjà elle affaiblit le président et installe une dynamique favorable aux démocrates. Elle permet de penser que le populisme, s’il traduit l’état de la société, « peut aussi n’être qu’un moment, contrecarré par de robustes institutions défendant l’Etat de droit », comme l’écrivent les auteurs de Populismes au pouvoir, un livre collectif publié par Les Presses de Sciences Po.

Un revers pour Viktor Orban

En Europe aussi les populismes au pouvoir montrent quelques fragilités. En Italie, la Ligue de Matteo Salvini a été écartée du gouvernement après sa rupture avec le Mouvement 5 Etoiles, qui a tourné casaque pour s’allier avec le Parti démocrate et mettre fin, au moins jusqu’aux prochaines élections, à l’expérience populiste. En Hongrie, le parti de Viktor Orban, quoi que solidement accroché au pouvoir, a subi une défaite symbolique de grande ampleur en perdant la mairie de Budapest face à Gergely Karacsony, le principal opposant du premier ministre. Au total, il ne conserve que treize des vingt-trois plus grandes villes du pays alors qu’il en contrôlait vingt à la veille du scrutin.

Quelques mois plus tôt, en Turquie, Recep Tayyip Erdogan avait essuyé un échec du même ordre en perdant plusieurs grandes villes, à commencer par Istanbul, conquise par Ekrem Imamoglu, du Parti républicain du peuple, après une première annulation du scrutin. Même en Pologne, au soir d’élections législatives victorieuses, Jaroslaw Kaczynski, chef du parti Droit et justice, n’a pu dissimuler une certaine inquiétude. « Nous devons commencer par une réflexion sur ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas marché », a-t-il souligné, tandis que le vice-premier ministre Jaroslaw Gowin déclarait : « Plus de la moitié des Polonais ont voté contre nous malgré une excellente conjoncture économique. C’est un message que nous devons analyser ».

Ces quelques exemples ne suffisent pas à prouver que le populisme est en recul, mais ils montrent qu’il peut être combattu et parfois vaincu. Sa première faiblesse est souvent la division qui oppose les populistes entre eux, comme l’atteste la mise à l’écart de Matteo Salvini en Italie. Aux Etats-Unis, Steve Bannon, qui fut longtemps le conseiller de Donald Trump, a reproché au président de rester prisonnier du système sans oser aller jusqu’au bout de ses convictions.

Selon le journaliste Bob Woodward dans son récit Peur. Trump à la Maison Blanche, Steve Banon pensait que « l’onde de choc populiste n’était pas parvenue à pénétrer les élites politiques » et que « l’establishment républicain avait réussi à ramener Trump sur le droit chemin ». L’autre manière d’enrayer cette « onde de choc » et de résister aux populismes est de défendre pied à pied les acquis de la démocratie et de convaincre les peuples que la démagogie est porteuse des plus amères désillusions.