Réticences allemandes

L’Allemagne soutient officiellement l’intervention française au Mali mais ne se précipite pas pour aider son partenaire européen. Outre deux Transall, destinés au transport des troupes africaines de la CEDEAO, Berlin devrait mettre des avions ravitailleurs à la disposition de l’aviation française. Toutefois cette mesure se heurte à des difficultés techniques et institutionnelles. L’intervention française relance outre-Rhin le débat sur les opérations militaures ectérieures. (Cet article est paru dans le numéro de février de la revue ParisBerlin)

 

Alors que les deux pays s’apprêtaient à célébrer le 50ème anniversaire du traité de l’Elysée, l’intervention au Mali a provoqué des divergences entre Paris et Berlin et souligné une nouvelle fois la difficulté de l’Allemagne à assumer des responsabilités à la hauteur de sa puissance. La chancelière Angela Merkel semblait pourtant partager l’analyse de Paris sur la situation au Sahel : les activités des groupes islamistes dans le nord du Mali représentent une menace non seulement pour ce pays ou pour l’Afrique mais aussi pour l’Europe. Feu l’ancien ministre de la défense Peter Struck s’était jadis rendu célèbre en disant pour justifier la participation à la guerre en Afghanistan : la défense de l’Allemagne commence dans l’Hindou-Kouch. Ne commence-t-elle pas a fortiori dans le Sahel, aux portes de l’Europe ?

Si c’est bien le cas, c’est à la France d’être en première ligne. Tel est le message entendu depuis Berlin à la mi-janvier. Certes l’Allemagne n’a pas refusé son soutien matériel, contrairement en 2011à propos du conflit libyen. Elle a envoyé deux avions gros porteurs Transall pour transporter les troupes de la Communauté des Etats d’Afrique occidentale (CEDEAO), mis quelques dizaines de formateurs à la disposition de la mission de l’Union européenne et le ministre des affaires étrangères Guido Westerwelle a promis « plus d’argent » pour le Mali. On se croirait revenu vingt ans en arrière quand la contribution de l’Allemagne à la première guerre en Irak se limitait à la « Scheckbuchdiplomatie ».

Les temps ont cependant bien changé depuis les années 1990. L’Allemagne s’est donné les moyens de participer à des opérations de rétablissement de la paix en dehors de la zone traditionnelle de l’OTAN. Moyens constitutionnels avec la décision du Tribunal de Karlsruhe de 1993 qui a autorisé l’intervention de la Bundeswehr « hors zone », politiques avec la bénédiction du Bundestag à la guerre au Kosovo, pratiques avec l’évolution de l’armée vers la professionnalisation couronnée par la « suspension » de la conscription…

Les dirigeants allemands soulignent que quelque 6000 soldats sont déployés dans le monde, de l’Afghanistan à la Corne de l’Afrique, du Kosovo au Liban. L’engagement de l’Allemagne dans les opérations internationales est « exemplaire », a déclaré le ministre des affaires étrangères. Ce qui n’est pas le cas de tout le monde, a ajouté Guido Westerwelle dans une allusion perfide au retrait prématuré des forces françaises d’Afghanistan. « Berlin affirme sa puissance militaire », titrait l’International Herald Tribune à la fin de l’année dernière. L’Allemagne est devenue le troisième exportateur d’armes dans le monde, avec plus de 10 milliards d’euros L’industrie militaire occupe environ 80 000 salariés. Elle vend des armes dans tous les pays sans trop de considération pour les régimes politiques qu’elle alimente ainsi, provoquant les protestations des derniers pacifistes.

Mais « rien n’oblige l’Allemagne à assumer une responsabilité quand il y a une terrible guerre civile quelque part dans le monde », a affirmé le ministre de la défense Thomas de Maizière, après l’intervention française au Mali. Cette prudence n’est pas partagée par tous les responsables politiques, y compris au sein de la démocratie chrétienne. Le président du Parlement et le spécialiste des affaires militaires de la CDU se sont indignés que le soutien allemand à la France se limite à deux Transall. L’ancien inspecteur général de la Bundeswehr n’exclut pas l’envoi de troupes au sol, « si la France le demande ». Mais il est probable qu’elle ne le demanderait pas si elle devait s’exposer à un refus.

Même division dans l’opposition : le candidat social-démocrate à la chancellerie est contre une participation de l’Allemagne aux côtés de la France, le responsable SPD des questions de défense est pour. Bien qu’ayant abandonné leur posture pacifique de principe depuis que Joschka Fischer les a entrainés dans les Balkans, les Verts sont partagés. Comme l’opinion qui ne s’est pas encore réconciliée avec l’idée que l’Allemagne ne peut se dérober indéfiniment aux responsabilités de son statut international.