Retour de la France dans l’OTAN : décryptage du discours présidentiel

En annonçant le retour de la France dans les structures militaires intégrées de l’OTAN, le président Sarkozy a provoqué un débat de politique intérieure de forte intensité, dépassant les clivages partisans traditionnels. Parmi les arguments qu’il a utilisés dans son discours du mercredi 11 mars à Paris (voir l’intégralité du discours en rubrique Lu pour vous/Documents), certains relèvent du bon sens, d’autres en revanche relèvent de la catégorie des demi-vérités ou des quasi-mensonges.

« Mensonges ! Mensonges ! Contrevérités ! » Dans son discours devant la Fondation de la recherche stratégique, Nicolas Sarkozy a fustigé en termes clairs ses adversaires du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. Il visait essentiellement Dominique de Villepin et accessoirement François Bayrou qui ont considéré que l’indépendance de la France était mise en cause par la décision du président de la République. S’il s’agissait de dénoncer quelques affirmations comme celle selon laquelle « si nous avions été dans le commandement intégré, nous aurions été forcés de participer à la guerre contre l’Irak en 2003 », Nicolas Sarkozy avait raison (membre de toutes les structures de l’OTAN, l’Allemagne n’est pas intervenue en Irak).

Par ailleurs, Nicolas Sarkozy a sans doute raison de dire que « s’il y a une « rupture », c’est bien la transparence de ce gouvernement dans les décisions qu’il assume ». En effet, le rapprochement avec la structure militaire intégrée de l’OTAN a commencé depuis longtemps, en réalité dès le lendemain de la « rupture » annoncée par De Gaulle, avec les accords Ailleret-Lemnitzer sur l’engagement des forces françaises aux côtés des Alliés, d’ailleurs cités par Nicolas Sarkozy. Le général Ailleret était chef d’état-major des armées françaises et le général Lemnitzer, commandant en chef des forces américaines en Europe et des forces de l’OTAN (SACEUR).

En 1993, ces accords avaient été « rénovés » par les accords entre l’amiral Lanxade, chef d’état-major français, le général Naumann, inspecteur général de la Bundeswehr et le SACEUR, le général Shalikashvili. Il s’agissait de tenir compte de la création de l’Eurocorps dans lequel coexistent des troupes allemandes – totalement intégrées dans l’OTAN – et des troupes françaises. Pour la première fois depuis 1966, ces accords prévoyaient qu’en cas de crise des forces françaises pourraient être placées sous le commandement opérationnel de l’OTAN. Tout ceci s’est passé dans la plus grande discrétion car François Mitterrand n’était pas opposé à ce rapprochement mais voulait éviter un débat à ce sujet qui aurait remis en cause ce que Hubert Védrine, qui était alors son conseiller diplomatique, appelle « le consensus gaullo-mitterrandien ». Il y ajoutera plus tard Jacques Chirac. De la même façon, François Mitterrand avait fini par céder à la pression de ses ministres de la défense, Pierre Joxe puis François Léotard, poussés par leurs militaires, pour que les ministres et certains officiers recommencent à participer à certaines réunions de l’OTAN. Le prétexte était la guerre en Bosnie où la France était engagée aux côtés de ses alliés.

Toutefois nombre d’arguments que Nicolas Sarkozy a avancés pour justifier la rupture avec la politique décidée par le général De Gaulle en 1966, relèvent eux aussi de la catégorie des demi-vérités ou des quasi-mensonges. En voici quelques exemples dont la liste n’est pas exhaustive.

Chirac, Jospin et l’OTAN

Les affirmations de Nicolas Sarkozy à propos de la tentative de rapprochement avec l’OTAN lancée par Jacques Chirac en 1995 sont sujettes à caution. Le président explique l’échec par l’absence « d’accord sur un meilleur partage des responsabilités au sein de la structure militaire de l’OTAN ». Ce n’est pas entièrement faux mais pas entièrement vrai non plus. Jacques Chirac avait en effet demandé des commandements supplémentaires pour les Européens – il avait même lancé un ballon d’essai qui fit long feu à propos du SACEUR qui est traditionnellement un général américain —, notamment le commandement sud, basé à Naples, responsable de la Méditerranée et de la Ve flotte américaine. Dans un premier temps les Américains ont refusé. Mais des négociations se sont poursuivies de l’automne 1996 au printemps 1997, qui étaient sur le point d’aboutir à un compromis. C’est le gouvernement de la gauche unie de Lionel Jospin qui a mis fin aux négociations, en juin 1997, sans d’ailleurs en avoir averti au préalable le président de la République. Ce fut le premier « accroc » de la cohabitation Chirac-Jospin.

La question des "deux piliers"

Nicolas Sarkozy présente ensuite l’Union européenne et l’Alliance atlantique comme « les deux piliers de notre défense et de celle de l’Europe ». C’est un raccourci pour le moins rapide. D’une part, parce que les deux organisations ne sont pas de même nature ; ensuite parce qu’il était toujours entendu jusqu’à maintenant, y compris par les moins atlantistes des dirigeants français, que la « défense de l’Europe » était du ressort de l’OTAN ; alors que l’UE est habilitée à mener une « politique européenne de défense », ce qui n’est pas tout à fait la même chose ; enfin, parce que le pilier européen de la défense occidentale est sous-développé par rapport au pilier atlantique.

« Avec le traité de Lisbonne, nous aurons un cadre cohérent en matière de défense », a dit encore le chef de l’Etat. Il est vrai que le traité de Lisbonne – s’il est enfin ratifié – propose quelques avancées institutionnelles. Il permet des coopérations renforcées en la matière, y compris une coopération structurée permanente entre un petit nombre de pays membres. Il donne des responsabilités particulières au président « stable » du Conseil et au Haut représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune qui sera en même temps membre de la Commission chargé des relations extérieures et qui devrait être appuyé par un embryon de service diplomatique européen.

Cependant, ces innovations institutionnelles ne résoudront pas le problème principal, à savoir les capacités militaires limitées de l’UE et de ses Etats membres qui préfèrent s’en remettre à la protection américaine que de faire des efforts par eux-mêmes. Nicolas Sarkozy a beau avoir repéré « un nouvel esprit qui a soufflé en Europe depuis que la France a annoncé son rapprochement avec l’OTAN » et constaté comme un fait accompli « une relance de la défense européenne », cette politique continue à avancer à la vitesse d’un escargot. Aucun des critères qui avaient été implicitement fixés pour juger de ces progrès n’a été rempli pendant la présidence française. Les Britanniques continuent de s’opposer à la création d’un centre de planification européen pour s’en remettre aux instances de l’OTAN. Ils ont vidé de sa substance l’Agence européenne de l’armement, supposée rationaliser les investissements des pays membres. La force de réaction rapide – 60 000 hommes mobilisables en deux mois pour une durée d’un an – dont la création a été décidée en 1999 et l’existence proclamée en 2003, reste une fiction.

Statut et influence de la France au sein de l’OTAN

Le président de la République laisse entendre que c’est sa décision qui a amené les présidents Bush et Obama à soutenir le développement de la politique européenne de défense. C’est se donner facilement le beau rôle. Si l’on s’en tient aux déclarations de bonnes intentions, cela fait déjà des décennies que les présidents américains saluent l’Europe de la défense. Seulement, ils ne l’entendent pas de la même façon que les Européens, en tous cas que les Français. Pour eux, il s’agit avant tout pour les Européens de partager le fardeau avec Washington, d’augmenter leurs dépenses militaires et de respecter leurs engagements au sein de l’OTAN. Tout le reste, ce sont de bonnes paroles. En sera-t-il autrement avec Barack Obama, c’est possible. Mais le dernier président démocrate Bill Clinton avait approuvé solennellement l’Identité européenne de sécurité et de défense en… 1994, et cette reconnaissance a été réitérée dans le « concept stratégique » de l’Alliance, voilà déjà dix ans.

A ce propos, Nicolas Sarkozy semble dire que la France ne pourrait pas participer à la discussion sur le futur concept stratégique qui sera décidé au sommet de Strasbourg-Kehl, en avril, pour le 60è anniversaire de l’Alliance atlantique, si elle ne rentrait pas dans le commandement intégré. Là aussi il s’agit d’une contrevérité. La France était dehors et elle n’en a pas moins pu s’opposer à des formulations qui ne lui convenaient pas, concernant par exemple l’extension géographique du champ d’action de l’OTAN. Savoir si les Etats-Unis et les alliés qui les suivent respectent toujours ces limitations, est une autre question, qui a à voir avec l’hégémonie américaine au sein de l’OTAN, pas avec l’influence de la France sur les textes officiels.

Il en est de même de l’affirmation selon laquelle la France n’aurait pas « son mot à dire quand les Alliés définissent les objectifs et les moyens militaires pour les opérations auxquelles nous participons ! » La réalité est sensiblement différente. Pendant la guerre du Kosovo, les opérations étaient soumises à l’approbation des alliés, en particulier du président de la République française. Que les Etats-Unis soient parfois passés outre est sans rapport avec le statut de la France dans l’OTAN. Ils ont au contraire considéré parfois qu’ils étaient paralysés et c’est une des raisons pour lesquelles ils ont privilégié des coalition ad hoc, en dehors de l’Alliance atlantique, dans leur lutte contre le terrorisme après 2001.

Sur cette question du retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN, les mêmes arguments pour ou contre se retournent souvent. L’enjeu est ailleurs. C’est un pari sur la disponibilité des Américains à accepter une voix de l’Europe au sein de l’OTAN et sur la capacité des Européens à s’entendre. « En mettant fin à nos ambiguïtés sur nos objectifs, nous créons la confiance nécessaire », a affirmé Nicolas Sarkozy. De la confiance à l’action, c’est le pas que les Européens sont appelés à franchir dans les prochains mois. Faute de quoi, la décision du président de la République deviendra un pur et simple ralliement.