Retour de la guerre froide… dans le vocabulaire

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Avec la crise en Crimée, il est beaucoup question d’un retour de la guerre froide. A tort. La tension monte certes entre Américains et Européens d’une part, Russes d’autre part mais ce n’est pas un affrontement entre deux blocs militaires et idéologiques. Ceux-ci ont été dissous après l’effondrement de l’Union soviétique au début des années 1990. Le Kremlin ne s’abstient pas de déclencher un conflit militaire avec l’Occident, bridé par la dissuasion nucléaire. Voilà les caractéristiques de la guerre froide, qui ne sont pas d’actualité.

 

Ce qui est de retour en revanche, c’est le vocabulaire de la guerre froide. Des expressions qu’on croyait oubliées refont surface. Strobe Talbott, expert américain de la Russie, ancien correspondant à Moscou, qui a conseillé l’ex-président Bill Clinton et dirige maintenant la Brookings Institution à Washington, suggère une politique « d’endiguement » vis-à-vis de la Russie. Autrement dit, Vladimir Poutine a avalé la Crimée mais il ne faut pas le laisser aller plus loin. Comme en 1946-1947, un autre diplomate américain, George Kennan, conseillait vis-à-vis de Staline une stratégie « d’endiguement » (containment), après que l’URSS eut agrandi son glacis à l’Europe centrale et orientale. Dans les deux cas, l’autre politique aurait été le « refoulement » mais elle aurait signifié un conflit armé que personne ne voulait risquer.

Les critiques de la politique « d’endiguement » accusaient ses partisans de vouloir « l’apaisement », référence au lâche soulagement qui avait saisi les opinions démocratiques après l’accord de Munich de 1938. La même expression est employée aujourd’hui pour qualifier ce qui pourrait être l’acceptation par les Américains et les Européens de l’annexion de la Crimée par la Russie, malgré toutes les protestations actuelles. Tout en prônant l’endiguement, George Kennan ajoutait : « La possibilité demeure que la puissance soviétique porte en elle le germe de sa propre décadence ». Certains experts ne sont pas loin de penser qu’avec son offensive contre l’Ukraine, Vladimir Poutine, lui aussi, a présumé de ses forces.

Une autre expression datant de la guerre froide a fait sa réapparition grâce à l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, la « finlandisation ». Ce néologisme est né de la situation de la Finlande, voisin de la Russie à l’histoire mouvementée. A la fin de la Deuxième guerre mondiale l’URSS lui a enlevé une partie de la Carélie mais lui a laissé son indépendance. La Finlande pouvait choisir son système politique et économique (démocratie et économie de marché) mais devait rester « neutre » et même conduire une diplomatie sympathique à Moscou. Ce n’est qu’après la guerre froide que la Finlande a pu adhérer à l’Union européenne et se rapprocher de l’Alliance atlantique.

Mais « finlandisation » avait une connotation péjorative que récusaient les Finlandais. Ils faisaient remarquer, à juste titre, qu’ils s’étaient battus contre les Soviétiques puis contre les Allemands pour leur liberté. Appliquer à l’Ukraine, la « finlandisation » signifierait le choix d’un système politique démocratique et d’une économie de marché, allant de pair avec une politique étrangère qui se garderait de déplaire à Moscou. Le choix ne reviendrait donc pas aux Ukrainiens eux-mêmes, mais à leurs « parrains » de l’ouest et de l’est. Ceci aurait alors un vrai petit air de guerre froide.