Retour sur l’affaire Magnitski

La justice russe a ouvert une enquête sur la mort en prison de Sergueï Magnitski, conseiller juridique de William Browder, cofondateur du fonds d’investissement Hermitage mis en cause dans une affaire de fraude fiscale. Magnitski (37 ans) est décédé le 16 novembre 2009 d’une crise cardiaque dans une prison moscovite. Son avocat affirme que les autorités pénitentiaires lui avaient refusé tout suivi médical depuis son incarcération il y a près d’un an. Hermitage Capital Management, un des plus importants fonds d’investissement de Russie, est au coeur d’une affaire de fraude fiscale qui constitue un cas d’école pour les investisseurs dans le pays. William Browder est interdit d’entrée sur le territoire russe depuis 2005, officiellement pour des raisons de sécurité nationale qui n’ont jamais été spécifiées en public.

La Russie, pays signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et ayant ratifié un certain nombre de conventions internationales protégeant les droits de l’homme, est décriée sur la scène internationale comme violant systématiquement les principes auxquels elle a adhéré. Tortures, assassinats à caractère politiques et autres exactions font régulièrement la une des journaux étrangers, et parfois même des journaux russes. Le système judiciaire russe étant en majeure partie à la solde du pouvoir exécutif, ces faits sont rarement sanctionnés au niveau national et les tribunaux internationaux se trouvent aujourd’hui submergés par des actions à l’encontre de la Russie, dont certains auteurs meurent subitement et malencontreusement avant que l’affaire n’ait pu être entendue.

A l’encontre de toute logique et dans la droite ligne de l’optimisme régnant en Occident, un espoir était né lors de l’arrivée au pouvoir de Medvedev en 2008. Marionnette crédible de Poutine, celui-ci avait promis des améliorations significatives en matière de droits de l’homme, discours qui n’a jamais été suivi d’effet. S’étant ainsi assuré une place parmi les politiciens dont la parole ne vaut rien car elle est rarement mise en oeuvre, Medvedev a perdu une partie de son électorat, virtuel ou réel. Les électeurs apprécient en revanche le franc-parler et l’attitude hautaine du chef Vladimir Poutine vis-à-vis de tout ce qui est accessoire, y compris les droits de l’homme, dont le respect est considéré comme un luxe que seuls les pays occidentaux peuvent se permettre.

Le milieu des affaires russes est lui aussi largement dominé par la politique. Bien plus que dans n’importe quel autre pays, en Russie les relations sont au coeur de tout, particulièrement les relations avec le pouvoir politique. Il n’est pas rare de voir figurer dans les documents internes aux entreprises que si la direction de la société venait à ne plus bénéficier des relations qu’elle entretient avec les figures politiques influentes du pays, les activités de la société en souffriraient fortement et certains schémas de fonctionnement passés et existants, notamment fiscaux, pourraient être mis en cause. En pratique, on a vu plus d’un personnage intègre, brillant et clairvoyant se soumettre entièrement aux exigences humiliantes de son client ou partenaire d’affaires du fait de ses relations politiques.

Les exemples de mise au pas des amateurs de liberté ou de vérité par le pouvoir politique ne manquent pas. Le dernier exemple en date est celui de Serguei Magnitski, avocat spécialisé dans la fraude fiscale au sein du cabinet moscovite Firestone Duncan et conseiller juridique de William Browder, co-fondateur du fonds d’investissement Hermitage Capital Management, qui a été voici quelques années le plus grand fonds d’investissement en Russie. Magnitski s’était battu pour obtenir davantage de transparence dans le milieu des affaires en Russie.

Après que le fonds Hermitage ait été accusé de fraude fiscale, Me Magnitski avait révélé que des policiers avaient utilisé les documents du fonds pour voler le budget russe. Peu après ces révélations, en novembre 2008, l’avocat était interpellé et incarcéré dans des conditions qui feraient pâlir les images diffusées récemment de la prison de Fleury Mérogis. C’est dans ces conditions que ce père de deux enfants a développé une pancréatite et est mort d’un manque de soins dans la nuit du 17 novembre 2009. Des soins médicaux avaient pourtant été proposés à Magnitski contre faux témoignage, qu’il a refusés. Peu avant sa mort, le juriste avait dénoncé une violation de ses droits. En suivant la vieille tradition russe, on serait tenté d’expliquer la mort de l’avocat fiscaliste par la fatalité.

A la suite du décès de Magnitski, le président russe Dmitri Medvedev a ordonné comme il se doit une enquête. Le Directeur adjoint du service fédéral de l’exécution des condamnations, Alexandr Smirnov, a même reconnu une responsabilité partielle de l’organisme dans la mort du juriste de 37 ans. Cet événement a également entraîné en Russie une réflexion sur les conditions de détention des personnes soupçonnées de délits a caractère financier, qui représenteraient aujourd’hui près de 40% de la masse totale des affaires examinées par les juges russes. Ce pourcentage est appelé à croître dans l’avenir dans un contexte de crise économique où il est demandé aux autorités russes d’augmenter le budget fédéral par tous les moyens à leur disposition. Suivant la législation en vigueur en Russie, les auteurs de ces délits risquent jusqu’à 12 ans de prison. Il est désormais question d’analyser la pratique de la détention provisoire pour les personnes soupçonnées de commettre des délits financiers pour la première fois et envisager un perfectionnement de la loi dans ce domaine. On serait ainsi tenté une fois de plus de se laisser emporter par ces promesses d’un avenir meilleur et de croire que Magnitski aura été la dernière victime du milieu carcéral russe. Il serait toutefois sage de considérer une alternative à cet avenir car, en Russie, tout peut arriver.