Jusqu’au 19 décembre 2008, Israël, en pleine campagne électorale, s’intéressait d’abord aux problèmes économiques et sociaux ainsi qu’à la probité des hommes politiques, souvent accusés de corruption. Le premier ministre Ehud Olmert avait été acculé à la démission suite aux enquêtes menées contre lui le soupçonnant d’actes d’abus de confiance et de détournements de fonds. Tzipi Livni, sa rivale et successeur à la tête du parti Kadima, avait les meilleures chances parce que considérée comme une femme parfaitement propre et menant une vie modeste. Une femme exemplaire pour les besoins du moment.
Le 19 décembre, le Hamas a déclaré la fin du cessez le feu avec Israël, déclaration suivie aussitôt de tirs de roquettes sur les villes et villages d’Israël longeant la frontière avec Gaza, avec parfois jusqu’à 80 roquettes par jour. Le lendemain d’une conférence aux Etats-Unis, Shimon Peres fut interrogé sur son analyse de l’opinion publique israélienne. Feignant d’être surpris et de ne pas voir le sens de la question, il a demandé : "Opinion publique ? Où avez-vous vu une opinion publique en Israël ? En Israël, il n’y a pas d’opinion publique. En Israël il y a l’humeur publique" (en anglais Public Mood). Il voulait dire que les Israéliens réagissent plutôt d’une manière émotive, donc pas toujours réfléchie, et que les émotions contrairement aux opinions changent comme le vent.
Montée de l’extrême-droite
Le 19 décembre 2008, l’opinion a changé comme par magie. Oubliées la corruption et la quête de l’honnêteté, oubliés l’économie et les problèmes sociaux. Désormais la préoccupation des Israéliens était la sécurité. Pire : les Arabes, les musulmans citoyens d’Israël se sont mis à manifester - parfois avec violence - contre la contre-attaque d’Israël dans la bande de Gaza déclenchée le 27 décembre. D’aucuns ont pris ces manifestations comme un coup de poignard dans le dos. Le dirigeant de l’extrême droite, originaire de l’Union soviétique et toujours teinté d’une agressivité raciste, en a profité. Avigdor Liberman, chef du parti Israël Beitenou (Israël notre maison) a lancé une campagne électorale haineuse contre les Arabes citoyens d’Israël. Cela a fait remonter d’une manière spectaculaire son parti dans les sondages. Au-delà des nombreux immigrants originaires de l’ancienne Union soviétique qui lui sont acquis, c’est désormais une partie inquiétante de la jeunesse et surtout de la jeunesse estudiantine qui s’enthousiasme pour lui.
Démons de la peur
Mais il n’y a pas que lui qui a profité de la nouvelle situation. Comme à l’accoutumée en Israël, dès que le débat public se concentre sur les questions de défense et de sécurité, la droite gagne du terrain. Les vieux démons de la peur ressortent et les gens qui voient leur existence menacée par l’Iran et ses complices, le Hamas au Sud et le Hezbollah au Nord, exigent une main de fer. S’il est vrai que toutes les guerres qu’Israël a gagnées ont été menées par des gouvernements de gauche, la mémoire de l’opinion est courte et le langage agressif des hommes politiques de la droite impressionne.
Le résultat est là après les élections du 10 février. La gauche israélienne s’est rétrécie comme une peau de chagrin. Même si l’on compte le parti Kadima de Tzipi Livni parmi les forces modérées, alors que la plupart de ses ministres et députés sont originaires du Likoud et tiennent toujours à leurs thèses de droite voire d’extrême-droite, c’est la droite officielle musclée qui a obtenu la majorité absolue à la Chambre. Le Parti travailliste qui a dominé le pays pendant au moins une cinquantaine d’années est tombé à la 4ème place avec quelques 11 % seulement des voix. Le parti Meretz, la gauche libérale, le parti des intellectuels, qui avait autrefois douze députés à la Chambre, n’en a obtenu que trois. Si le parti Kadima de Tzipi Livni devance légèrement le premier parti du camp de la droite, le Likoud, cela n’a aucune signification pour l’orientation à venir de la politique israélienne.
Netanyahou gagnant quoi qu’il arrive
Certes, le Kadima a obtenu un résultat supérieur à celui attendu, grâce à des voix venues de la gauche, qui n’avaient plus qu’un seul souci, bloquer la montée de Netanyahou et de la droite. Les gens de gauche ont accouru à la rescousse de Tzipi Livni pensant qu’elle seule était capable de contenir Netanyahou. Mais quand les "grands partis" ne représentent plus que 20 à 23 % chacun, ce qui compte ce n’est pas le parti mais le poids de l’ensemble du groupement d’un camp face à l’autre. Et le fait est que le camp de la droite a raflé quelques 54% de la totalité des voix. Même en incluant le parti Kadima, qui n’est pas vraiment de gauche, dans le camp modéré et en excluant les partis arabes qui font bande à part, la gauche n’obtient quant à elle que 38 à 39 % des suffrages. Peu importe si le Kadima devance le Likoud, il n’y a aucune possibilité mathématique pour que la chef de Kadima compose un gouvernement. Seul Netanyahou avec l’ensemble des partis de la droite est en mesure de rassembler une coalition ayant d’une majorité confortable au Parlement.
Certes Netanyahou ne voudra pas s’appuyer seulement sur les partis de droite. Il se souvient que lorsqu’il était premier ministre, de 1996 à 1999, c’est son camp qui l’a renversé parce qu’il a osé - sous la pression américaine - faire quelques gestes - pas très significatifs - à l’égard d’Arafat dans le cadre des accords d’Oslo. Netanyahou craint aussi les foudres de l’opinion mondiale et surtout celle de l’Amérique d’Obama. Avoir Kadima voire le Parti travailliste au sein de sa coalition pourrait lui servir de bouclier vis-à-vis de l’extérieur. Mais Kadima ou le Parti travailliste à l’intérieur de la coalition n’auront aucune influence sur la ligne du gouvernement. A tout instant Netanyahou pourra renvoyer ses partenaires modérés et rester au pouvoir en s’appuyant sur la majorité automatique que lui apporte le camp de la droite.
Le processus de paix enterré
Quelle sera donc la politique de Netanyahou et de ses alliés de droite ? Comme annoncé tout au long de la campagne électorale, c’est le refus de toute concession territoriale à l’égard des Palestiniens ou des Syriens. Il va de soi qu’il ne sera pas question d’évacuer, ne serait-ce qu’une seule colonie. Même celles appelées « illégales » par Ariel Sharon lui-même. Autant dire qu’il n’y a aucune chance pour un processus de paix.
Toutefois, ce ne sont pas Netanyahou et son gouvernement qui vont forcément décider du cours des événements au Proche-Orient. Ces dernières années, la dépendance israélienne par rapport à Washington est devenue totale, dans tous les domaines - financiers politiques, diplomatiques et surtout militaires, comme jamais auparavant. Il n’est pas question de refuser à l’Amérique quoique ce soit à partir du moment où il devient clair que l’Amérique pense sérieusement ce qu’elle dit. De 1967 à nos jours, aucun président américain n’a jamais, ou presque, exigé quoique ce soit d’Israël, sinon du bout des lèvres. Les présidents américains s’appuyant sur leur opinion publique accordaient à Israël un soutien total et inconditionnel.
L’inconnue Obama
Barack Obama sera-t-il le premier à changer le cours de l’histoire américano-israélienne ? Il en a certes l’étoffe. En a-t-il la volonté et surtout la possibilité ? Il va de soi que la priorité des priorités sera accordée par Obama à l’économie mais quelles seront ses priorités lorsqu’il se tournera vers la politique étrangère ? Pas forcément le Proche-Orient. L’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et les relations sensibles avec la Chine et la Russie viendront probablement avant. Dans ces conditions, Netanyahou pourra se permettre, comme Sharon avant lui, de faire au Proche-Orient tout ce qui lui passe par la tête. Et si Obama avait tout de même l’intention, une fois le nouveau gouvernement israélien formé, d’intervenir réellement afin de pousser vers un accord de paix entre Israël et ses voisins ? Personne n’a jusqu’ici pu deviner quelles étaient les véritables intentions du nouveau président américain. Tout le monde ne fait que les interpréter, selon sa compréhension ou ses vœux personnels. Si Obama décide d’intervenir, il aura l’avantage considérable de trouver face à lui en Israël un gouvernement de droite.
Exercer des pressions sur un gouvernement de gauche n’aurait eu d’autre résultat que la décomposition du gouvernement. Face à la pression américaine d’un côté et à la violence d’une opposition de droite de l’autre, un tel gouvernement n’aurait aucune chance de survie. La droite, quant à elle, n’aura d’autre choix, compte tenu de la dépendance absolue d’Israël de l’Amérique, que de céder à la pression de "notre seul ami et allié". Elle pourra se maintenir quand même au pouvoir n’ayant à craindre aucune opposition à l’intérieur du pays. La gauche ne combattra jamais un gouvernement prêt à signer un accord de paix.
Alors peut être comme disait Samson de la Bible : "…et du fort est sorti le doux" Jg 14:14.