Vladimir Poutine reste de loin l’homme politique le plus populaire en Russie mais il risque de faire les frais de la détérioration de la situation économique et sociale dans la mesure où il s’est toujours présenté comme le principal, voire l’unique, responsable. Dans les temps de prospérité, il en tirait tous les bénéfices ; dans l’adversité, il pourrait bien faire office de bouc émissaire. C’est encore loin d’être le cas. Mais au sein de ce qu’un observateur russe appelle la « tandemocratie », le président Medvedev est tenté d’utiliser les difficultés du gouvernement pour faire entendre un discours différent et surtout pour consolider sa propre position face à Vladimir Poutine auquel, jusqu’à présent, il doit tout.
Fragilité du rouble
Or la Russie se trouve dans une situation difficile. Elle a été obligée de puiser dans ses réserves pour empêcher un effondrement du rouble qui aurait ruiné la classe moyenne, comme ça a été le cas lors de l’éclatement de la bulle financière en 1998. C’est précisément en s’inscrivant en opposition à la politique économique et monétaire menée alors par les premiers ministres de Boris Eltsine, que Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir en septembre 1999. Le voici rattrapé par une crise tout aussi grave. La différence est qu’aujourd’hui la Russie dispose de réserves de devises importantes grâce au prix élevé du pétrole et du gaz pendant les cinq dernières années. Mais ces réserves ne sont pas inépuisables. Pour ne pas les réduire à presque rien, le gouvernement russe a laissé filer le rouble qui a été dévalué trois fois au cours des dernières semaines.
Croissance fragile
La base de la croissance récente est fragile. Elle repose sur des grandes sociétés exportatrices de matières premières et énergétiques. Mais ces conglomérats, dirigés par des proches du pouvoir, ont été créés grâce à un endettement énorme. Avec la baisse des prix et la paralysie du système bancaire, ils ne peuvent plus faire face à leurs engagements. Selon l’International Herald Tribune daté 31 décembre-1er janvier, la dette de la seule entreprise Gazprom, qui se promettait de régner sur le marché européen et même mondial du gaz, serait de 49,5 milliards de dollars.
Des usines ferment. Des salaires ne sont plus payés, rappelant le début des années 1990. Des chantiers sont arrêtés. Des travailleurs sont licenciés. Le chômage va augmenter dans de larges proportions, a reconnu Vladimir Poutine qui a promis une hausse importante des indemnités. Mais il faudra les financer, ce qui sera plus difficile avec un budget réduit par la chute des prix de l’énergie (Les recettes tirées du gaz et du pétrole représentent 75 % des rentrées fiscales). Moscou ne comptait certes pas sur un baril à 140 dollars sur le long terme et les prévisions budgétaires avaient été fondée sur un baril à 50 $, mais celui-ci est déjà nettement au-dessous. Des manifestations de mécontentement se sont produites dans plusieurs villes, à travers tout le territoire de la Russie. Elles ont été en général durement réprimées.
Mikado politique
Il n’y a pas de débouché parlementaire à ce mécontentement, puisque le parti de Poutine, Russie unie, contrôle la Douma. Ni de débouché politique dans la mesure où les partis d’opposition ont été détruits ou phagocytés. Si lutte pour le pouvoir il y a, elle se passe pour le moment au sein des clans au pouvoir. Dmitri Medvedev a commencé à s’intéresser aux problèmes économiques qui sont normalement du ressort du gouvernement, donc du premier ministre Poutine, en soulignant dans un entretien, que la Constitution faisait reposer la responsabilité suprême sur ses épaules. Il a convoqué des réunions d’experts devant lesquels il a laissé percer ses désaccords avec la politique gouvernementale : les décisions qui ont été prises face à la crise sont bonnes mais insuffisantes, a-t-il dit.
A Moscou, les observateurs s’interrogent sur ce qui peut apparaître comme des velléités d’indépendance et divergent sur l’interprétation à donner. Pour les uns, le président en a assez de jouer les seconds rôles ; pour d’autres, il ne peut prendre trop ouvertement ses distances sans déplaire à son mentor. Le mot de la fin revient sans doute à Lilia Chevtsova, du Carnegie Center de Moscou : les deux hommes « savent que le système de pouvoir dépend de leur capacité à s’entendre ».Autrement dit, la limite de leurs désaccords potentiels est fixée par la conviction que leur sort est lié, pour le meilleur et pour le pire.