Au début, les dirigeants de Moscou avaient nié que la vague partie des Etats-Unis atteindrait la Russie. Ils ont bien été obligés de se rendre à l’évidence : même si la Russie est relativement peu intégrée dans l’économie mondiale – son commerce extérieur ne dépasse pas le niveau de celui des Pays-Bas —, elle a subi de plein fouet le ralentissement de l’activité internationale. La récession a atteint 7% du PIB en 2009. Certes, les prix des produits énergétiques – pétrole et gaz —, s’ils ont baissé depuis les sommets atteints en 2007, se sont stabilisés. Mais les recettes de l’Etat russe n’en ont pas moins diminué et la rente énergétique ne peut plus être distribuée comme elle l’était par le passé.
Avec une économie très peu diversifiée – les matières premières ou énergétiques constituent 80 % des exportations russes et les produits de consommation 75% des importations – la Russie reste très dépendante de la croissance internationale. Les responsables le savent et reconnaissent que la croissance du début des années 2000 – les salaires ont été multipliés par cinq depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir – ne s’est pas accompagnée d’un développement économique et social équilibré. Les infrastructures sont dans l’état où les avait laissées l’Union soviétique, c’est-à-dire qu’elles se sont dégradées, à tel point que la récente catastrophe ferroviaire qui a frappé le train rapide Nevski entre Saint-Petersbourg et Moscou, il y a quelques jours, est maintenant attribuée plutôt à la vétusté de la voie qu’à un attentat terroriste.
Même le secteur énergétique qui est la vache à lait de l’Etat et des nouveaux oligarques, souffre de l’insuffisance des investissements. Gazprom, la grande compagnie quasi-nationale, n’a pas ouvert un nouveau puits depuis dix ans. Le gaz gaspillé dans les torchères faute d’installations de récupération représente la consommation totale de gaz d’un pays comme la France ! Lors de la dernière visite de Vladimir Poutine à Paris, début décembre, des accords ont été signés qui devraient permettre à des sociétés françaises d’intervenir dans ce secteur, à condition que la méfiance à l’égard des investisseurs étrangers ne l’emporte pas sur les impératifs techniques et économiques. Après avoir mis au pas les oligarques en emprisonnant Boris Khodorkovski, les dirigeants russes s’en sont pris à des sociétés étrangères, sous prétexte aussi de fraude fiscale
La modernisation, « conservatrice » ou autre, suppose un changement des mentalités que le pouvoir ne semble pas disposé à encourager. Il est en effet pris dans une contradiction entre les nécessités économiques et sa volonté de maintenir un strict contrôle politique sur la société. Aussi longtemps que la rente pétrolière et gazière permet de nourrir le pouvoir et ses affidés dans les milieux des affaires et du maintien de l’ordre (les siloviki, les hommes aux épaulettes), et de laisser plus que des miettes à une classe moyenne avide de consommer, on voit mal qui aurait intérêt à remettre en cause le système. Vladimir Poutine est arrivé au pouvoir avec le mot d’ordre de la « modernisation autoritaire ». L’autoritarisme a été au rendez-vous, pas la modernisation. L’esprit de réforme a été victime du prix trop élevé de l’énergie. La crise a ébranlé l’édifice, elle ne l’a pas suffisant atteint pour que la politique suivie jusqu’à maintenant soit fondamentalement remise en question.