Russie : moderniser ou périr

L’Institut du développement contemporain russe (INSOR) a rendu public le 3 février son rapport sur « La Russie au XXIe siècle : vision d’un avenir souhaitable ». Le rapport contient les recommandations les plus audacieuses que l’institut, proche du président Dmitri Medvedev, ait formulées jusqu’à ce jour. Il se prononce pour de profondes réformes économiques et sociales, qui ne pourront être réalisées que par la voie d’une modernisation du système politique. Igor Iourgens, directeur de l’INSOR, a déclaré que si la Russie ne se modernisait pas, le pays risquait de perdre ses jeunes gens les plus brillants au profit de l’Ouest et voir s’aggraver les tensions internes qui pourraient faire voler le pays en éclats.

L’institut a été créé en mars 2008. Il prenait la suite du Centre de développement de la société d’information, qui était chargé notamment de prodiguer des conseils pour la réalisation des projets nationaux, supervisés par Dmitri Medvedev, alors vice-premier ministre de Russie.

Lors d’une réunion à Tomsk, avec des hommes d’affaires, Dmitri Medvedev, a insisté une fois encore sur la nécessaire modernisation de la Russie et prôné de nouvelles privatisations. 

Les recommandations de l’Institut du développement contemporain incluent notamment le rétablissement de l’élection des gouverneurs, que Vladimir Poutine, alors président de la Russie, a supprimée en 2004, à la suite de la tragédie de Beslan (plus de trois cents écoliers avaient tués lors d’une prise d’otages dans cette bourgade d’Ossétie du nord). Bien que cette abolition ait été jugée conforme à la constitution par la Cour Constitutionnelle russe en 2005 et soutenue par l’actuel président russe, Dmitri Medvedev, elle avait été fortement critiquée par l’opinion publique, tant en Russie qu’à l’étranger. Le rapport préconise également de ramener le terme du mandat du président russe de six à cinq ans. La durée de quatre ans initialement prévue par la Constitution russe de 1993 a été modifiée en décembre 2008 et doit s’appliquer à compter du prochain mandat présidentiel. Cette réforme a aussi donné lieu à d’abondants commentaires, suggérant que Medvedev préparait le retour de Poutine à la tête de la Russie en 2012.

De même, le rapport recommande de ramener le mandat des députés de la Douma, chambre basse du parlement, de cinq à quatre ans, terme également modifié en décembre 2008. Il propose de rétablir le mélange de système proportionnel et de système uninominal qui permettait à une meilleure représentation de l’opposition. Le scrutin de liste, actuellement en vigueur, a empêché de concourir les petits partis et des personnalités critiques vis-à-vis du Kremlin.

Sur le plan de la sécurité, il est proposé de dissoudre le FSB, la police politique qui a succédé au KGB. Le FSB serait remplacé par un service de contre-espionnage et un service de protection de la constitution. Ce dernier serait en charge de la lutte contre le terrorisme et le séparatisme. L’institut du développement contemporain suggère également de remplacer le ministère de l’Intérieur par un service fédéral de police criminelle. Des tâches de simple police, telle que la surveillance des routes, pour laquelle le ministère de l’Intérieur a récemment fait l’objet de vives critiques, seraient confiées à des forces subordonnées aux autorités locales. L’effectif de l’armée serait réduit de moitié, passant de 1,1 million à 500 000 ou 600 000 hommes, enrôlés sur la base du volontariat. Le service militaire russe, ramené de deux ans à un an depuis janvier 2008, s’effectue actuellement dans des conditions inhumaines, l’armée connaissant une profonde crise financière et morale. Les recrues font l’objet de mauvais traitements voire de sévices, y compris sexuels. Les recommandations incluent l’adhésion de la Russie à l’OTAN, qui serait ainsi reconnue comme la structure assurant la sécurité du continent européen. Poutine et Medvedev y sont fermement opposés. Et l’adhésion à l’Union européenne qui, selon le rapport, « stimuleraient la transformation positive » du pays. 

L’Institut préconise par ailleurs la suppression de la censure des moyens d’information, placés sous la tutelle du gouvernement depuis l’année 2000. L’Etat est en effet devenu propriétaire des principales entreprises de télévision et de deux chaînes diffusées sur l’ensemble du territoire de l’ex-URSS, ORT et RTR, les medias régionaux dépendant du financement des autorités locales. 

Ces recommandations vont dans le sens des appels à la modernisation lancés par le président Medvedev dans son article « En avant, la Russie ! », ainsi que dans son discours sur l’état de la nation. Mais elles contredisent nombre d’éléments-clés de la « Stratégie 2020 » rendus publics par Russie Unie, le parti largement majoritaire à la Douma qui soutient Vladimir Poutine. Les représentants de la Russie Unie ont d’ailleurs déclaré que les idées exprimées dans le rapport de l’Institut du développement contemporain russe pourraient constituer un frein au développement économique du pays, le ramenant dans la situation des années 1990. Quant aux représentants du parti la Russie Juste, l’autre formation proche du Kremlin, ils ont déclaré que les propositions du rapport étaient très proches de leur programme, sauf en ce qui concerne l’adhésion de la Russie à l’OTAN.

Par ailleurs, alors que certains commentateurs jugent ces recommandations utopiques, d’autres considèrent que le rapport formule un véritable plan d’action sociale. Le rapport aurait pour seul objectif de créer une image libérale de Dmitri Medvedev à l’étranger. Si tel est le cas, l’objectif est encore très loin d’être atteint.