Sanctionnez, sanctionnez, il en restera toujours quelque chose

Les sanctions économiques n’ont pas bonne réputation dans les milieux diplomatiques. Elles sont considérées au mieux comme inutiles, au pire comme contreproductives. Elles ont cependant été efficaces au moins deux fois, dans des circonstances particulières. Contre l’Afrique du sud, dans les années 1980, elles ont contribué à la fin de l’apartheid ; contre l’Iran, elles ont amené les mollahs à négocier leur programme nucléaire.
Qu’en sera-t-il avec la Russie ? Après avoir écarté, à juste raison, l’option militaire pour tenter de résoudre la crise en Ukraine, les Américains et les Européens n’avaient pas un grand choix à leur disposition. « L’arme économique » était à peu près la seule dont ils pouvaient user.
Ils l’ont fait d’abord avec parcimonie, espérant que les déclarations de Vladimir Poutine en faveur de la désescalade seraient suivies d’effet et que les séparatistes prorusses déposeraient les armes. C’est le contraire qui s’est produit. Les fausses promesses du Kremlin avaient une seule fonction : enfoncer un coin entre les Etats-Unis et l’Union européenne et diviser les Européens eux-mêmes. Pendant ce temps, loin de pousser les rebelles à composer, la Russie continuait de les alimenter en armes lourdes, y compris des missiles sol-air, dont l’un a été sans doute utilisé pour abattre le Boeing de la Malaysia Airlines avec 298 personnes à bord.
Depuis le mardi 29 juillet, les sanctions européennes frappent non seulement des proches du président russe mais des secteurs entiers de l’économie russe qui a grand besoin des investissements et des crédits étrangers pour se maintenir à flot. Les entreprises gazières et pétrolières, contrôlées par des oligarques intégrés dans l’appareil d’Etat, fournissent la majeure partie des exportations russes et sont la source principale des rentrées budgétaires. Faute de technologie occidentale, elles ne pourront ni se moderniser ni même poursuivre l’extraction à un niveau rentable.
Il serait naïf de penser que Vladimir Poutine se laissera fléchir par ces sanctions. Au contraire. Dans un premier temps au moins, il apparaîtra comme le défenseur des intérêts de la Russie face aux menaces de l’Occident « décadent » et sa popularité en sortira renforcée. Mais à moyen terme, il ne pourra pas ne pas tenir compte dans ses calculs politiques de l’isolement croissant de la Russie, de la dégradation de sa situation économique et des conséquences sur la vie quotidienne de ses concitoyens.
Déjà des voix non-officielles mais proches du Kremlin font entendre l’inquiétude des milieux d’affaires russes. Un journaliste de Kommersant, Andreï Kolesnikov, qui passe pour avoir l’oreille de Poutine, a dessiné une voie de sortie. Bien sûr, le président russe ne peut pas céder aux pressions directes de l’étranger et laisser tomber les séparatistes en Ukraine qu’il a encouragés. Mais il pourrait, suggère Kolesnikov, profiter des conclusions de l’enquête internationale sur la chute du Boeing malaysien, pour s’ériger en instance morale, condamner le tir de missile meurtrier et rapatrier les séparatistes en Russie.
Le scénario d’un Vladimir Poutine ému par la mort de 298 passagers d’un Boeing étranger n’est pas très crédible. On se souvient que lors de la prise d’otages de Beslan en 2004, il n’a pas hésité à assumer la mort de quelque deux cents enfants afin de ne pas négocier avec les terroristes. Mais le tour de passe-passe « moral » lui permettrait de reculer sans perdre la face, d’autant plus que nombre de dirigeants européens seraient trop contents de retrouver en lui un partenaire « fréquentable ».