Entre la tentation des représailles et l’appel au dialogue la voie est étroite pour les Européens en Ukraine : accepter sans réagir le coup de force de Vladimir Poutine, ce serait manifester leur faiblesse alors même que le nouveau pouvoir ukrainien compte sur leur aide ; entrer en conflit ouvert avec la Russie, ce serait risquer d’attiser le conflit au lieu de favoriser un règlement politique de la crise. Ce dilemme est au cœur des difficultés de la diplomatie européenne au lendemain de l’annexion de fait de la Crimée par Moscou. Comment mettre d’accord les pays qui demandent à l’UE de riposter avec vigueur aux menaces russes sur l’intégrité territoriale de l’Ukraine et ceux qui appellent à la modération par crainte d’envenimer la situation et de rendre impossible un règlement négocié ?
L’élaboration d’une position commune aux vingt-huit Etats membres est, dans le domaine de la politique étrangère, un exercice ardu tant les points de vue divergent d’un pays à l’autre. Mais lorsque la discussion porte sur les relations avec Moscou, la mission est presque impossible. Les pourparlers sur un nouveau partenariat entre l’Union européenne et la Russie, engagés depuis plusieurs années, ont achoppé sur cette réalité : depuis l’élargissement de l’UE aux anciens pays du bloc soviétique, la question russe divise profondément les Européens. Les Etats d’Europe centrale et orientale, qui sont entrés dans l’UE pour en finir avec leur appartenance à l’empire soviétique, se montrent particulièrement intransigeants à l’égard de Moscou, tandis que la plupart des Etats d’Europe occidentale croient aux vertus de la négociation.
Face aux développements de la crise ukrainienne et aux opérations militaires lancées en Crimée par Vladimir Poutine, le clivage s’est de nouveau manifesté entre les tenants d’une ligne dure, qui n’entendent pas céder aux intimidations de Moscou, et les partisans du dialogue, qui souhaitent, comme le ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders, « faire baisser la tension » en tentant de « ramener tout le monde à la raison ». A la première catégorie appartiennent, entre autres, la Pologne, qui se considère comme la porte-parole de l’Ukraine au sein de l’UE, ou les pays baltes, mais aussi la Suède, qui fut, avec la Pologne, à l’initiative du partenariat oriental, et le Royaume-Uni, dont la position est proche de celle des Etats-Unis. A la seconde catégorie appartiennent notamment l’Allemagne et la France, qui ne veulent pas rompre leurs liens avec Moscou. Une fois de plus, les diplomaties européennes tentent d’établir une synthèse entre les deux tendances.
Une « claire violation de la souveraineté ukrainienne »
Elles y sont parvenues une première fois il y a quelques jours en s’accordant sur des sanctions contre les responsables des violences en Ukraine et en confiant une mission de médiation aux trois ministres des affaires étrangères d’Allemagne, de France et de Pologne. Mais le travail est sans cesse à refaire. Réunis à Bruxelles lundi 3 mars sous la présidence de la haute représentante de l’UE pour la politique étrangère, Catherine Ashton, les ministres européens des affaires étrangères s’y sont employés, en attendant que les chefs d’Etat et de gouvernement prennent à leur tour le relais jeudi 6 mars. Au terme de leurs travaux, ils ont à la fois condamné la « claire violation de la souveraineté ukrainienne par les actes d’agression des forces armées russes » et appelé à un « dialogue constructif » pour une « solution pacifique ».
La condamnation est nette et formulée sans détour. Elle affirme clairement que l’intervention russe est, entre autres, contraire à la Charte des Nations unies. Elle s’accompagne d’un appel au retrait des troupes russes sur leurs bases permanentes. Les Vingt-huit annoncent aussi que si Moscou ne prend pas des mesures de « désescalade », ils n’hésiteront pas à en tirer les conséquences, qui pourront se traduire par la suspension des conversations avec la Russie sur la question des visas ou sur un nouvel accord de coopération. Ils n’excluent pas non plus de recourir à des « mesures ciblées », ce qui, dans le langage diplomatique, signifie le gel des avoirs ou les privations de visas. D’ores et déjà ceux de ses membres qui appartiennent au G8 (Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni) ont suspendu les préparatifs du prochain sommet qui doit se tenir à Sotchi en juin. Bref, si Moscou ne répond pas, « les ponts seront coupés sur beaucoup de sujets », a commenté Laurent Fabius. Catherine Ashton est chargée de porter ce message de fermeté, qui vient en appui des fortes déclarations de Barack Obama et de John Kerry.
Parallèlement, les Européens se disent prêts à discuter avec toutes les parties et à favoriser une médiation internationale.
« Nous sommes fermement convaincus qu’il doit y avoir une solution pacifique à la crise » déclare Catherine Ashton. L’annulation du G8, évoquée par John Kerry, n’apparaît pas aux Européens comme une bonne solution, ce rendez-vous offrant un des rares espaces de discussion entre les Occidentaux et les Russes. Angela Merkel, qui se montre particulièrement active, dit avoir obtenu de Vladimir Poutine un accord pour la mise en place d’un « groupe de contact » qui permettrait d’engager un « dialogue politique ». La chancelière allemande affirme aussi que le président russe ne serait pas opposé à une mission d’enquête. Si ces informations sont confirmées, ce sera déjà un premier résultat pour la diplomatie européenne. L’UE sait qu’à l’égard de la Russie elle doit rechercher un bon dosage entre le durcissement et l’ouverture. Elle sait aussi qu’elle dispose, à court terme, de peu de moyens d’action.