Sarkozy au Proche-Orient : un voyage pour quoi faire ?

La tournée de deux jours que Nicolas Sarkozy effectue au Proche-Orient à partir de lundi 5 janvier peut-elle avoir un effet dissuasif sur les belligérants, convaincre les Israéliens de mettre un terme à leur offensive meurtrière sur Gaza et persuader le Hamas de cesser ses tirs de roquettes contre l’Etat hébreu ? On voudrait le croire, du moins l’espérer. Il y de fortes raisons d’en douter.

 

L’énergie du chef de l’Etat français, le relatif succès diplomatique qu’il a obtenu dans le règlement provisoire du conflit entre la Géorgie et la Russie, l’été dernier, ou le volontarisme contagieux dont il a fait preuve durant le temps de la présidence française du Conseil européen n’en font pas un Deus ex machina. On ne voit pas pourquoi Nicolas Sarkozy réussirait là où tant de tournées, de visites et de feuilles de routes ont été vaines. On voit très bien, en revanche, pourquoi le voyage du chef d’Etat français a malheureusement les plus grandes chances d’être voué à l’échec lors même que, du processus d’Oslo à la conférence d’Anapolis en passant par les discussions de l’an 2000 ou les efforts du Quartet, toutes les initiatives occidentales ou arabes ont été impuissantes à instaurer une paix durable dans la région. 

 

Les trois objectifs d’Israël

Tout porte à croire que les Israéliens demeureront sourds aux injonctions ou aux suggestions de Nicolas Sarkozy. Le président français en a eu un avant goût lorsque, jeudi dernier, il a accueilli à l’Elysée Tzipi Livni, ministre israélienne des Affaires étrangères et désormais patronne du parti Kadima. Celle-ci a balayé d’un revers de main la proposition française d’un cessez le feu de 48 heures. L’actuel gouvernement israélien est bien décidé, en effet, sauf revers peu probable, à aller jusqu’au bout de l’opération militaire déclenchée contre Gaza.

Ceci pour trois raisons. La première est militaire : il s’agit de porter au Hamas un coup décisif en sorte de le rendre inoffensif. Le second objectif est politique : Kadima veut affirmer, par cette attaque d’envergure contre le Hamas, sa détermination sécuritaire avant les élections législative du 10 février prochain qui l’opposeront au Likoud de Benjamin Netanyahou actuellement favori dans les sondages. Le troisième objectif est stratégique. C’est une sorte d’avertissement lancé à la nouvelle Administration américaine qui entrera en fonction le 20 janvier prochain : une manière de dissuader éventuellement Barak Obama, s’il en avait l’intention, d’interférer dans les rapports entre Israéliens et Palestiniens. Pour toutes ces raisons Nicolas Sarkozy sera poliment écouté à Tel Aviv mais il n’y sera pas entendu.

De même ne sera-t-il guère plus audible du côté palestinien. Les radicaux du Hamas qui ont attiré Tsahal dans le piège de Gaza espèrent réitérer dans cette enclave les prouesses du Hezbollah au Sud Liban, il y a trois ans. Quant à l’Autorité palestinienne et à son président Mahmoud Abbas, ils ont quelques solides raisons de mettre en doute les bonnes intentions occidentales tant, par le passé, celles-ci n’ont été suivies d’aucun effet.

Washington et Téhéran derrière les extrémistes

Une nouvelle fois, le paradoxe est que tout le monde sait parfaitement, comme se plaît à la répéter Henry Kissinger, quelle est la solution de ce conflit israélo-palestinien vieux d’un demi siècle. Les contours du compromis ont été dessinés à Taba en 2001. Ehud Barak, alors Premier ministre israélien et Yasser Arafat furent tout proches de s’accorder. Si cette solution demeure hors de portée c’est parce qu’elle est en permanence torpillée par les extrémistes des deux camps - ceux-ci nourrissent réciproquement le conflit - et parce que jamais les Etats-Unis qui sont les seuls à pouvoir imposer ce compromis aux belligérants n’ont voulu le faire, privilégiant particulièrement ces dernières années avec l’Administration Bush les intérêts israéliens.

Du côté israélien, les partisans du fait accompli estiment que le temps joue en leur faveur ; ils ont pour alliés les néoconservateurs américains. Du côté palestinien, les radicaux pensent exactement l’inverse ; ils bénéficient du soutien politique et militaire de Téhéran.

Comme le souligne l’ancien ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, le statu quo qui résulte de cette surenchère réciproque est la pire des situations : il condamne les citoyens israéliens à une « insécurité existentielle » et les populations des enclaves palestiniennes à des conditions de vie insupportables. Seule une puissance étrangère, en l’occurrence les Etats-Unis, pourrait imposer aux Israéliens le préalable à la mise en œuvre d’une solution de type « Taba » c’est-à-dire l’arrêt réel des implantations juives et l’évacuation par Israël de tous les territoires occupés.

La discrétion de Barack Obama

Barack Obama est resté jusqu’à présent des plus discrets sur la politique qu’il entend mener au Proche-Orient. A-t-il l’intention d’y jouer un rôle actif et majeur ou, trop préoccupé par la crise financière et économique qui frappe les Etats-Unis, par le désengagement militaire de l’Irak et par le renforcement de la présence américaine en Afghanistan, se contentera-t-il d’un engagement mineur dans le dossier israélo-palestinien ? De nombreux observateurs penchent pour la seconde hypothèse. En attendant, George W. Bush, président américain en exercice jusqu’au 20 janvier, s’est contenté d’affirmer le droit d’Israël à se défendre contre des tirs de roquettes et a attribué au seul Hamas « organisation terroriste » la responsabilité de la reprise des combats.

Que va donc faire Nicolas Sarkozy dans cette galère proche-orientale, lui qui n’est plus président du Conseil européen alors que ni les Israéliens ni le Hamas ne veulent entendre raison et que les Etats-Unis, aujourd’hui et peut-être demain, ne paraissent guère décidés à faire pression sur Israël ? Les plus optimistes diront que le président français va y cultiver un faible espoir de trêve sinon de paix. Les plus réalistes penseront que ce voyage contribuera, en dépit de la timidité de la présidence tchèque, à préserver un semblant de rôle européen dans la région. Les plus cyniques ne verront dans ce périple que l’exercice narcissique d’un président attaché à forger ce qu’il estime être sa stature internationale.