C’est une vraie nouveauté dans l’histoire européenne. De 1992 à 1995, les européens s’étaient déchirés face à la crise yougoslave. C’est finalement l’OTAN qui est intervenue et ce sont les Accords de Dayton, négociés par les américains Richard Holbrooke et Christopher Hill puis signés sur une base militaire de l’Ohio, qui ont mit un terme à ce conflit. L’Union européenne, de bout en bout, avait été absente.
Il est vrai que l’Europe ne disposait pas encore des quelques instruments de politique étrangère dont elle s’est dotée depuis, en réaction justement à cette inquiétante paralysie : quelle crédibilité pourrait avoir une Europe qui doit faire appel aux Etats-Unis pour régler les conflits qui éclatent sur son propre sol ? Mais même cette nouvelle politique étrangère et de sécurité commune n’a rien pu faire pour préserver l’unité des Européens sur la question d’une intervention en Irak.
La crise géorgienne a, par chance pour l’UE, éclaté en plein mois d’août, lorsque les chancelleries sont en veille et les concertations par nature moins réactives. Elle a par chance éclaté lorsqu’un pays disposant d’une vraie politique étrangère et d’un poids non-négligeable dans les affaires diplomatiques assurait la présidence du Conseil. Elle a enfin éclaté alors que le chef d’Etat de ce pays est plutôt connu pour ses stratégies individuelles et son jeu solitaire que pour un attachement particulier à la concertation préalable.
Lorsque Nicolas Sarkozy s’est précipité dès les premiers jours de la crise à Moscou et Tbilissi pour négocier « l’accord en six points » au nom de l’Union européenne, aucune concertation approfondie n’avait eu lieu avec ses partenaires européens, aucun mandat n’avait été donné par les 27 pour agir en leur nom. Les traités prévoient pourtant que la politique étrangère de l’Union relève de l’unanimité. Pas pour cette fois-ci.
Pendant près de trois semaine, les institutions européennes ont été muettes. Le président de la Commission José Manuel Barroso n’est lui-même rentré de vacances que fin août. Lors du Conseil européen extraordinaire convoqué le 1er septembre, les 27 se sont trouvés devant une série de faits accomplis : un accord finalisé, une négociation sur sa mise en œuvre largement entamée et un certain nombre de déclarations de principes déjà formulées. Aucun pays européen ne pouvait prendre le risque de désavouer frontalement ce qui avait déjà été fait en leur nom. Résultat : des conclusions à ce Conseil qui confortaient les actions engagées, une rédaction étonnamment consistantes par rapport à ce qu’on aurait pu attendre sur un sujet de ce genre dans d’autres conditions, assez fermes mais pas provocantes pour les Russes, et des décisions immédiates (le gel des négociations sur le futur accord de partenariat), le tout en même pas trois heures de débat, soit à peine le temps de deux tours de table.
Les deux enseignements de la crise
En prenant tout le monde de court, et quelle que soit l’appréciation que l’on peut porter sur le fond de l’accord et ses garanties de mises en œuvre, Nicolas Sarkozy a ainsi évité que les divisions ne s’étalent entre Européens jusqu’à bloquer toute possibilité d’action ou de position un tant soit peu substantielle. On peut en tirer deux enseignements.
Le premier est que le futur président stable de l’Union devra être suffisamment solide et provenir d’un grand pays pour pouvoir asseoir sa légitimité et être crédible dans ce genre de situations. Il est peu probable que Medvedev aurait accepté de négocier pareillement avec le président slovène si cette crise avait éclatée six mois auparavant, lorsque ce pays assurait la présidence de l’UE.
Il faudra par ailleurs certainement que ce représentant garde des liens étroits avec quelques unes des diplomaties bien constituées en Europe. Le futur représentant de l’UE dans le monde ne doit pas avoir un profil qui risquerait de le faire désavouer par un des grands Etats de l’Union.
Le deuxième enseignement est que l’Union européenne manque toujours d’outils – et peut-être d’ambition – pour gérer ses relations extérieures à long terme. On va le voir rapidement. La gestion de la crise est une chose, la sortie de crise une autre. Maintenant que le temps revient à un écoulement plus normal, des dissensions sévères recommencent à se faire jour sur l’inéluctable question : quelles types de relations de long terme envisager dorénavant avec la Russie ?
L’unanimité va reprendre ses droits, entraînant avec elle les consensus sibyllins au plus petit dénominateur commun face auxquels la Russie se fera un plaisir de jouer des divisions entre Etats. L’élaboration d’une vraie politique extérieure est un processus bien difficile. Ce sera le rôle du futur « ministre » des affaires étrangères de l’UE, qui devra, lui, avoir davantage un profil de conciliateur pour mener à bien l’ingrat mais essentiel travail de rapprocher peu à peu les positions européennes.