Sarkozy, un Européen ambigu

Le président français a contribué au renforcement de la solidarité européenne, en particulier pendant ses six mois à la tête de l’UE. Mais il n’a cessé d’afficher sa méfiance à l’égard des institutions communautaires, au nom du primat du politique.

 Est-il bon ? Est-il méchant ? Cette question, dont Diderot a fait le titre d’une de ses pièces, beaucoup de défenseurs de l’Europe se la posent lorsqu’ils examinent la politique européenne de Nicolas Sarkozy. Tantôt ils constatent avec satisfaction que le président de la République se dit convaincu de la nécessité de construire l’Europe et, joignant le geste à la parole, s’emploie à renforcer la solidarité des Vingt-Sept face aux crises. Tantôt, au contraire, ils prêtent l’oreille à ses violentes récriminations contre la Commission de Bruxelles ou contre la Banque centrale, tenues l’une et l’autre pour des repaires de bureaucrates obtus, et à ses appels au rétablissement des frontières intérieures supprimées par les accords de Schengen.

 Dans un cas, le voici apparemment plus europhile que les plus fervents des fédéralistes européens, prêt à se battre pour un gouvernement économique de l’Union et pour une coopération plus étroite entre les Etats membres. Dans l’autre, il reprend les arguments le plus souvent employés par les europhobes et les eurosceptiques, ardents avocats du respect de la souveraineté nationale bafouée, selon eux, par les naïfs héritiers de Robert Schuman et de Jean Monnet.

 Du début à la fin de son quinquennat, Nicolas Sarkozy n’a cessé de souffler le chaud et le froid. A peine élu, il annonce que « la France est de retour en Europe », choisit d’associer le drapeau européen au drapeau français sur sa photo officielle, invite les vingt-six partenaires de la France au défilé du 14 juillet. Il confie le poste de secrétaire d’Etat aux affaires européennes à un Européen convaincu, Jean-Pierre Jouyet, ancien collaborateur de Jacques Delors à Bruxelles. Il va ensuite proposer puis faire adopter, grâce à l’actif concours d’Angela Merkel, le futur traité de Lisbonne, baptisé d’abord mini-traité, puis traité simplifié, pour effacer l’échec du traité constitutionnel deux ans auparavant.

 Controverses autour de l’Union méditerranéenne

 En même temps, sous l’influence de son conseiller spécial, Henri Guaino, souverainiste avoué, il lance le projet d’Union méditerranéenne, dont il veut exclure les Etats non riverains, à commencer par l’Allemagne. Conçue comme une concurrente de l’Union européenne, ainsi que le suggère son nom, l’Union méditerranéenne vise à la fois à donner un rôle moteur à la France et à offrir à la Turquie une solution de rechange en cas d’échec des négociations d’adhésion.

 Angela Merkel est furieuse, la plupart des gouvernements européens désapprouvent le cavalier seul de la France, la Commission s’inquiète d’être tenue à l’écart. Voilà la solidarité européenne mise à rude épreuve par les méthodes du président français. « Il ne faudrait pas qu’on se mettre à construire un projet à côté ou en dehors de l’Union européenne », reconnaît lui-même Jean-Pierre Jouyet. Un compromis sera trouvé : l’Union méditerranéenne deviendra l’Union pour la Méditerranée. Mais l’image d’un Nicolas Sarkozy peu respectueux de la volonté de ses partenaires ne se dissipera pas facilement.

 Ce ne sera pas la seule entorse de la France à l’esprit communautaire. Lorsque Nicolas Sarkozy s’invite à une réunion de l’eurogroupe, quelques semaines après son élection, pour annoncer qu’il ne respectera pas la discipline budgétaire à laquelle a souscrit son prédécesseur, il montre qu’il ne se sent pas vraiment lié par l’engagement européen. Lorsqu’il fait de l’euro son « punching ball préféré », selon l’expression de Jean-Dominique Giuliani, président de la fondation Robert Schuman, il manifeste sa méfiance à l’égard d’un des grands acquis de l’Europe unie. Lorsqu’il s’oppose à la poursuite des négociations avec la Turquie, ouvertes avant son arrivée à l’Elysée, il va à l’encontre d’une décision prise collectivement par les Etats membres. Ajoutons qu’en faisant valser ses ministres ou secrétaires d’Etat chargés des affaires européennes – ils seront cinq en cinq ans – il révèle aussi le peu de cas qu’il fait de la fonction.

 Les six mois de présidence française

 Pour Nicolas Sarkozy, le principal temps fort est la présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008. Le chef de l’Etat a incontestablement permis à l’Europe, pendant ces six mois, de progresser dans la voie de l’unité. A l’initiative de la présidence française, les Vingt-Sept ont notamment réussi à parler d’une seule voix sur trois grands dossiers mis à l’ordre du jour prioritaire : la lutte contre le réchauffement climatique, l’immigration, la défense.

 Au terme de difficiles négociations, l’Union a adopté des objectifs ambitieux en matière de lutte contre le réchauffement climatique – ce qu’on appelle le « paquet énergie-climat » - , même si elle n’est pas parvenue à en convaincre ses interlocuteurs internationaux au sommet de Copenhague à la fin de l’année suivante. Les résultats ont été plus modestes en matière d’immigration, les Vingt-Sept se contentant de s’entendre sur quelques principes communs, dont celui de l’immigration choisie. En matière de défense, enfin, les progrès resteront limités, malgré plusieurs accords franco-britanniques. Nicolas Sarkozy justifiera, en 2009, le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN par la nécessité de dissiper la méfiance de ses partenaires européens en leur montrant que la perspective d’une défense commune n’est pas incompatible avec la fidélité à l’Alliance atlantique. Cela ne suffira pas à donner une réelle impulsion au projet.

 Mais les deux questions auxquelles Nicolas Sarkozy onsacre la plus grande partie de son énergie durant sa présidence de l’Union sont la réponse européenne à la crise financière et le règlement du conflit russo-géorgien. C’est au nom de l’Union européenne que le président français s’est battu pour chercher des solutions et pour tenter de surmonter les divisions des Vingt-Sept. Le plan de sauvetage des banques a été arrêté après de laborieuses tractations conduites par Nicolas Sarkozy avec beaucoup de détermination. Quant à la guerre entre la Russie et la Géorgie, elle a donné à l’Europe l’occasion d’imposer sa médiation.  " Ce n’était pas gagné ", dira Jean-Pierre Jouyet, en soulignant que la France était appelée à représenter une Europe dont les sensibilités à l’égard de la Russie allaient d’une intransigeance résolue à une certaine compréhension. Même si Moscou n’a pas tenu tous ses engagements, l’activisme du président français a été payant.

 Le fragile équilibre entre les autorités européennes et les Etats

 Les années suivantes ont été dominées par la crise de l’endettement et en particulier par la situation de la Grèce. Le couple franco-allemand, baptisé « Serkozy », a multiplié les réunions au sommet pour éviter l’éclatement de la zone euro. Les deux mesures-phares auxquelles ont abouti ces conciliabules - l’adoption du pacte de discipline budgétaire et la création du mécanisme européen de stabilité – doivent beaucoup à la collaboration du président français et de la chancelière allemande.

 Nicolas Sarkozy a défendu le principe de la solidarité entre les Etats de la zone euro. Mais, une fois de plus, l’ambiguïté de son engagement européen a été perceptible. D’un côté, sous l’influence du couple franco-allemand, l’Europe a fait un grand pas vers une meilleure coordination de ses politiques économiques et une plus forte union entre ses membres. De l’autre, Nicolas Sarkozy, soucieux d’accroître le rôle des chefs d’Etat et de gouvernement plutôt que celui des institutions européennes, est resté méfiant à l’égard des organes communautaires, au nom de la primauté du politique.

 Ce n’est pas un hasard si, au cours de sa campagne, il a demandé le gel de la contribution française au budget européen. Quant au « gouvernement économique » qu’il préconise, il ne vise pas à créer, comme on pourrait le croire, une structure quasi-fédérale, mais à associer davantage les Etats, et en particulier les plus puissants d’entre eux, à l’exercice du pouvoir européen, au risque de bousculer le fragile équilibre établi par les traités entre le poids des autorités communautaires et celui des dirigeants nationaux.