Le Goulag existe toujours en Russie. Malgré l’impitoyable réquisitoire d’Alexandre Soljenitsyne contre le stalinisme, qui fut pour beaucoup une révélation, malgré les témoignages poignants de ceux qui furent jadis les victimes de la dictature, malgré la chute finale du communisme, des militants politiques continuent de croupir dans les prisons du régime, au fin fond de la Sibérie, où ils risquent leur vie pour défendre leurs idées.
Les nouveaux dissidents ont remplacé les anciens pour mener courageusement la même bataille, de nouveaux combattants de la liberté ont succédé à ceux d’hier, avec la même détermination et la même abnégation, pour lutter contre l’arbitraire, des hommes et des femmes de conviction n’ont pas peur aujourd’hui de souffrir, comme leurs prédécesseurs, contre un pouvoir despotique qui viole le droit et la démocratie.
Le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov est de ceux-là. Condamné à 20 ans de prison pour terrorisme, sur la base de témoignages arrachés par la torture, il purge sa peine dans la colonie pénitentiaire de Labytnangui, une petite ville de la péninsule de Yamal, à 2000 kilomètres de Moscou, en Sibérie, qui donne sur l’océan arctique. Son crime est d’avoir protesté, en 2014, contre l’annexion de la Crimée par la Russie.
En grève de la faim depuis trois mois, cet homme de 42 ans est, selon son avocat, entre la vie et la mort. Sa santé se dégrade. Il a perdu 30 kilos et souffre de troubles cardiaques. Moscou refuse de le libérer et paraît prêt à le laisser mourir. « Aujourd’hui un cinéaste se meurt parce qu’il est dissident », écrit un groupe de personnalités du monde de la culture dans une tribune du Monde, qui ajoute : « Il faut agir. Et il faut agir vite ».
Oleg Sentsov est un cinéaste encore peu connu mais son premier film, Gaamer, son unique film à ce jour, a été salué par la profession. Ce récit de la vie d’un jeune homme passionné de jeux électroniques, qui devient l’un des meilleurs joueurs du monde, au risque d’un enfermement dans son univers, a été sélectionné par plusieurs festivals, notamment celui de Rotterdam, où il a été montré pour la première fois en 2012, et celui de Sao Paulo.
Le talent du jeune réalisateur a été reconnu par ceux qui ont vu ce long métrage, distribué en ligne par Rotterdam Unleashed et comparé par certains aux Quatre cents coups de François Truffaut. Oleg Sentsov aurait dû commencer en 2014 le tournage d’un second film quand il a été arrêté.
Mais ce qui est en cause aujourd’hui, ce n’est pas l’œuvre personnelle du cinéaste, c’est son engagement politique au service de la liberté d’expression. Celle-ci dépasse le seul champ de la création artistique et touche à l’exercice de la citoyenneté. Voilà pourquoi plusieurs responsables politiques, à commencer par Emmanuel Macron, sont intervenus auprès de Vladimir Poutine.
Les signataires de l’appel cité plus haut ont raison d’affirmer que ne pas agir et laisser Oleg Sentsov mourir, « ce serait renoncer à nos valeurs et à nos principes, renoncer à ce que nous défendons et à ce que nous sommes, ce serait tolérer qu’on peut être tué pour ses idées, ses opinions, ses prises de position ». Le cinéaste est le premier à donner à son combat, au-delà de son cas particulier, une dimension collective puisqu’il demande, en même temps que la sienne, la libération de soixante-dix prisonniers politiques ukrainiens. Oleg Sentsov est devenu un symbole de la lutte contre l’oppression et de la défense des libertés. Il mérite le soutien de tous les démocrates.