Savoir célébrer un cinquantenaire

Le magazine Paris-Berlin et la mairie de Versailles ont organisé une conférence à l’occasion du 50ème anniversaire du traité de l’Elysée qui sera célébré le 22 janvier 2013. Après un débat entre des personnalités engagées dans le dialogue franco-allemand, des ateliers ont réuni des jeunes sur le thème « Que faire pour relancer la coopération ? » entre les deux pays.

Les anniversaires sont propices aux interrogations. Déjà pour le 40ème anniversaire du traité signé en 1963 par Charles De Gaulle et Konrad Adenauer, les dirigeants français et allemands s’étaient interrogés : que faire pour éviter la banalisation de la relation privilégiée entre les deux pays ? Ou encore : le moteur franco-allemand a-t-il toujours un sens dans l’Europe élargie ? Du côté français, on avait avancé l’idée d’un nouveau traité ou à tout le moins d’une « modernisation » du texte d’origine. Sans rencontrer l’enthousiasme de la partie allemande. Finalement une séance commune de l’Assemblée nationale et du Bundestag avait donné un tour solennel à la célébration. Les représentants des deux peuples s’éraient retrouvés à Versailles. Le double symbole était fort pour dépasser une double humiliation. C’est à Versailles en effet que l’unité allemande a été proclamée par Bismarck en 1871, après la défaite de Napoléon III et qu’a été signé en 1919 le traité qui mit fin à la Première guerre mondiale après la défaite du Reich.
Pendant la campagne présidentielle, François Hollande a repris le projet d’un nouveau traité franco-allemand mais il est peu probable qu’il ait plus de succès que Jacques Chirac en 2003. Les mécanismes de coopération doivent certes être améliorés mais ils peuvent l’être sans pour autant ouvrir de nouvelles et fastidieuses négociations. De même n’est-il pas besoin d’un nouveau texte pour traiter ensemble de sujets d’intérêt commun auxquels les deux pays donnent souvent des réponses différentes, comme l’énergie et le nucléaire, la politique industrielle, l’immigration, la place de la religion dans la société, etc. Ce qui est nécessaire, a déclaré Alfred Grosser, c’est la « reconnaissance commune que la politique européenne ne fait plus partie de la politique étrangère ».

L’indispensable concertation

Comme l’a rappelé Alain Juppé en référence à sa double expérience récente de ministre de la défense et de ministre des affaires étrangères, les gouvernements français et allemand n’adoptent pas spontanément des positions identiques sur les grands sujets de la politique européenne ou internationale. Il a cité l’intervention en Libye à laquelle Berlin a refusé de participer malgré la « patience » avec laquelle il a essayé de convaincre son collègue Guido Westerwelle. A contrario, la France et l’Allemagne sont d’accord sur la Syrie, « amis malheureusement dans l’impuissance », a ajouté Alain Juppé.
Critiquant implicitement l’attitude rigide de l’Allemagne dans la crise économique, il a souligné le dilemme auxquels font face les dirigeants européens, et en particulier français. Comment rétablir les équilibres budgétaires tout en évitant la récession qui rendrait impossible le retour à l’équilibre ? Réponse d’Alain Juppé : faire fonctionner ce que nous avons décidé ensemble, c’est-à-dire le pacte budgétaire et le programme de croissance. L’Europe a la capacité d’emprunter, non pour couvrir des dépenses de fonctionnement, mais pour financer des investissements d’avenir, par exemple par le moyen de ce que l’ancien ministre a appelé des « euro-project-bonds », expression qui a l’avantage de lier Europe et projets sans sous-entendre qu’il pourrait y avoir cette mutualisation des dettes honnie par les Allemands.
Pour sortir du dilemme qui ressemble à un piège, il conviendrait de changer les processus de décision au sein de l’Union européenne en s’interrogeant sur les nouvelles délégations de souveraineté qui sont indispensables pour assurer un bon fonctionnement. « Nous sommes allés trop loin [dans l’intégration européenne] pour ne pas aller plus loin », a résumé Alain Juppé, en soulignant les risques de dislocation de l’UE.

Il y a du franco-allemand avant De Gaulle

Ceux qui voulaient « aller plus loin », ce sont les « pères fondateurs » et les militants européens de l’immédiat après-guerre. La célébration annuelle du traité De Gaulle-Adenauer a tendance à rejeter dans l’oubli les hommes politiques, les intellectuels ou les simples citoyens qui ont milité pour la réconciliation franco-allemande bien avant le début des années 1960. Il revenait à Alfred Grosser et à Antoine Veil de leur rendre hommage. Et de rappeler que De Gaulle, avant de revenir au pouvoir en 1958, n’avait que sarcasmes à l’égard de ces pionniers. En 1950, il avait critiqué la Communauté du charbon et de l’acier proposée par Jean Monnet et Robert Schuman, ce « méli-mélo », disait-il.
Après le voyage triomphal du général en Allemagne, en septembre 1962, Adenauer écrivit une lettre de gratitude à Robert Schuman qui n’était pas en odeur de sainteté auprès des gaullistes. Mais quand le « père de l’Europe » mourut quelques années plus tard, De Gaulle fit en sorte que le vieux chancelier ne puisse pas, contrairement à son souhait, assister à ses obsèques. Le général n’avait pas pardonné à Jean Monnet d’avoir passé la guerre aux Etats-Unis et à Robert Schuman ses idées de « souveraineté partagée ».
Au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, De Gaulle était partisan de la même politique qui avait été menée à la suite de la Première : l’Allemagne devait payer. Ce n’est que plus tard que, par réalisme, il se convertit à la coopération franco-allemande qu’il célébra avec des accents lyriques. Cette conversion tardive n’enlève rien à ses mérites mais ceux-ci ne doivent pas occulter la préhistoire de la coopération franco-allemande.