Sri Lanka : un pays à la dérive (1)

L’organisation militaire des « Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul » (LTTE), longtemps considérée comme l’une des plus puissantes guérillas du monde, vit ses derniers jours. La défaite annoncée des Tigres tamouls ne règle pas pour autant les graves problèmes qui se sont accumulés depuis des années et font de Sri Lanka l’homme malade de l’Asie du Sud.

En ce début du mois de mai 2009, l’armée sri-lankaise assiège les Tigres tamouls dans un réduit de 5 km de long et d’1 km de large, entre la mer et la lagune, dans le nord-est de Sri Lanka, alors qu’au début de 2006 les LTTE contrôlaient encore les deux tiers des côtes de l’île et un territoire grand comme la Corse. A moins d’une tentative réussie de fuite par la mer ou à travers la lagune, son chef Vellupillai Prabhakaran et ses proches mourront les armes à la main, se suicideront ou seront pris. Ils risquent d’entraîner dans un sacrifice collectif plusieurs centaines de leurs militants. Le sort du « bouclier humain » formé par les dizaines de milliers de civils (50.000 selon les Nations Unies, au maximum 20.000 selon le gouvernement) qui sont encore avec eux, est problématique : les Tigres y recrutent à la hâte des combattants inexpérimentés, et notamment des enfants.

Depuis le début de l’année 2009, sur les quelque 250.000 civils qui s’étaient repliés avec les Tigres au fur et à mesure de leur recul sous les coups de l’offensive de l’armée sri-lankaise, 172.000 ont finalement rejoint les territoires contrôlés par le gouvernement, où ils sont enfermés dans des camps, soupçonnés de sympathies séparatistes ou dans l’impossibilité de retrouver leurs villages dans l’attente de la fin du conflit. Entre 2.000 et 6.000 personnes selon les sources, sont mortes dans les combats, sous les bombardements, mais aussi sous l’effet de la politique répressive des LTTE, qui n’hésitent pas à tirer sur les civils qui s’enfuient ; les maladies et les carences alimentaires ont aussi fait des victimes, en raison du blocus imposé par l’armée, qui laisse toutefois opérer la Croix Rouge Internationale qui a pu évacuer par mer plus de 10.000 blessés et leurs familles vers des hôpitaux situés en zone gouvernementale.

Guerre réelle et guerre médiatique

Cette situation dramatique fait l’objet d’une guerre médiatique entre le gouvernement, qui nie toute attaque délibérée contre les civils et utilise les témoignages de rescapés de la zone pour prouver que les LTTE ont organisé une gigantesque prise d’otages ; et les séparatistes, qui dénoncent des bombardements ciblés sur des hôpitaux et des concentrations de population, soutiennent que les civils restent avec les militants de leur plein gré, et emploient le terme de génocide. Les ONG soulignent les difficultés mises par le gouvernement à l’exercice de leur action, doutent des promesses du gouvernement de ne plus utiliser d’armes lourdes, au vu des images satellites qui semblent montrer des impacts d’explosions, et rappellent les violences et les intimidations exercées à l’encontre de la presse libre depuis le début de l’année.

Le débat porte aussi sur les conditions régnant dans les camps où les réfugiés s’étant échappés de la zone tenue par les Tigres, après avoir été interrogés et « triés », sont détenus sans pouvoir sortir librement ni communiquer aisément avec l’extérieur. Plus de 150.000 personnes s’y trouvent, principalement autour de la localité de Vavuniya, dans des conditions d’existence que le gouvernement affirme satisfaisantes en matière alimentaire et sanitaire, comparées à la situation d’extrême pénurie qu’elle subissaient auparavant ; mais que les organisations humanitaires (y compris cingalaises) dénoncent comme largement improvisées et contraires aux droits de l’homme, et qui risquent en effet, si elles se prolongent, de se retourner contre le gouvernement. 

Environnement international et "Realpolitik"

Toutes les tentatives des puissances occidentales et de la « communauté internationale » pour arrêter l’engrenage militaire au nom de la protection des civils ont fait long feu face à la détermination inflexible du gouvernement de Mahinda Rajapakse, sûr de sa victoire et ne voulant laisser aucune chance aux Tigres d’échapper à une défaite totale : ni les Nations Unies, ni les Etats Unis, ni la Grande Bretagne et la France, et encore moins les pays nordiques et les ONG internationales, n’ont pu obtenir la moindre concession. La mobilisation des ONG et des mouvements de défense des droits de l’homme (tel Human Rights Watch), n’a pas fait le poids face aux impératifs de la Realpolitik : d’autant que le gouvernement sri-lankais a reçu l’appui ou a bénéficié de la compréhension des grandes puissances asiatiques : la Chine (l’un de ses principaux fournisseurs d’armes) et la Russie, soucieuses de n’encourager aucun mouvement séparatiste, et qui opposeront leur veto à toute tentative d’intervention des Nations Unies ; le Japon (son principal bailleur de fonds) ; l’Union Indienne (qui en pleine période électorale, reste sur la réserve, en dépit des fanfaronnades des politiciens du Tamilnadu) ; l’Iran et les pays arabes (qui n’ont pas oublié les massacres de musulmans perpétrés par les Tigres depuis les années 1990).

La mobilisation spectaculaire de la diaspora tamoule s’est traduite par des manifestations de rue au Canada, en Grande Bretagne, en France, en Suisse, en Europe du Nord et en Inde du Sud. Elles ont été accompagnées par des grèves de la faim, des suicides par le feu, et quelques violences vite réprimées. Orchestrées par les partisans des LTTE, arborant le drapeau des Tigres et le portait de Prabhakaran, ces manifestations ont été relayées par une propagande utilisant les médias électroniques (dont le site Tamilnet est l’organe le plus influent) et un lobbying intense auprès des élus locaux ou nationaux. Ces actions laissent penser que la popularité des LTTE auprès de la diaspora n’est pas entamée, mais l’insistance des slogans qui martèlent l’équation Tamouls=Tigres peut aussi s’interpréter comme le signe d’une inquiétude de l’organisation concernant la cohésion de ses partisans.