Les Autrichiens ont démenti la “théorie des dominos”. Selon celle-ci, les populistes de tous les pays avaient le vent en poupe. Après le Brexit et l’élection de Donald Trump, la victoire du candidat d’extrême-droite à Vienne ne faisait guère de doute. Norbert Hofer n’avait manqué de l’emporter que de 30 000 voix, en mai, contre l’ancien président des Verts Alexander van der Bellen. L’air du temps, ajouté au rejet de plus en plus massif des réfugiés, devait assurer à cet ingénieur qui, le temps d’une campagne, avait troqué “la peau du loup pour la fourrure de l’agneau”, l’entrée à la Hofburg, le siège de la présidence autrichienne.
Il n’en a rien été. Dans un sursaut inattendu, une majorité d’Autrichiens – 53 % –, s’est prononcée, le dimanche 4 décembre, pour le candidat de la gauche libérale. Alexander van der Bellen est un homme politique atypique. D’origine estonienne, il fut protestant dans le pays de la Contre-Réforme, il a flirté avec le communisme dans un milieu très conservateur, il a présidé le parti écologiste là où la double hégémonie des sociaux-démocrates et de la droite est contestée par le FPÖ, de feu Jörg Haider, refuge des anciens nazis et des nouveaux populistes.
L’élection présidentielle autrichienne était aussi un référendum pour ou contre l’Europe. Eurosceptique, Norbert Hofer a mis en sourdine la revendication de son parti en faveur d’un référendum sur la sortie de l’euro mais il a continué à vitupérer contre “Bruxelles”. A l’opposé, Alexander van der Bellen a mené campagne pour “la liberté, l’égalité, l’Europe”. Le rejet de son adversaire autant que l’adhésion à sa vision éclairée de l’Autriche ont assuré son succès.
En Italie aussi, l’Europe n’était présente dans le débat sur le référendum que de manière implicite. Mais dans la péninsule, c’est bien elle qui risque d’être la victime collatérale du rejet de la réforme constitutionnelle proposée par le président du Conseil, Matteo Renzi. 60% des électeurs italiens ont dit “non”. Ils ont rejeté un texte juridique compliqué qui avait pour but de mettre fin au “bicaméralisme parfait” entre la Chambre des députés et le Sénat, source de paralysie législative. Mais ils ont surtout infligé un camouflet à Matteo Renzi, qui avait eu l’imprudence de lier son sort au résultat de la consultation. Il a d’ailleurs présenté sa démission dès l’annonce des premiers résultats.
Une période d’incertitude s’ouvre à Rome. Le slogan “sortez les sortants” a fait florès pour la plus grande satisfaction du mouvement populiste Cinque Stelle du comique Beppe Grillo, en embuscade pour s’emparer du pouvoir. En cas d’élections anticipées, il pourrait être le premier parti d’Italie malgré ses déboires après des élections municipales victorieuses, notamment à Rome et à Turin. Pour en finir avec “le système”, avec “la caste” des politiciens, avec la corruption, même s’il n’est pas à l’abri de tout reproche en la matière, le mouvement Cinque Stelle est prêt à s’allier avec la Ligue du Nord de Matteo Salvini, qui flirte depuis longtemps avec les thèmes d’extrême-droite.
L’Europe se réjouit à Vienne et se désole à Rome. Pendant les scrutins, la crise continue.