Syrie : la dangereuse volte-face de Trump

En annonçant le prochain départ des forces spéciales américaines engagées dans le nord-est de la Syrie, Donald Trump a provoqué la colère de son ministre de la défense, le général Mattis, qui a aussitôt remis sa démission, et l’incompréhension de la plupart de ses conseillers, qui ont été frappés de stupeur par la volte-face présidentielle. Il a aussi consterné ses alliés de la coalition, qui se battent depuis quatre ans, aux côtés des Américains, contre les djihadistes de l’Etat islamique, et enchanté ses deux grands adversaires, l’Iran et la Russie, qui vont s’empresser d’occuper l’espace abandonné par Washington – sans parler de la Turquie, qui aura les mains libres pour poursuivre sa croisade anti-kurde, et de Bachar el-Assad, qui sera délivré de la pression directe des Etats-Unis sur son régime.

Le bilan est désastreux. L’initiative de Donald Trump, aussi soudaine que dangereuse, selon le New York Times, laisse ses partenaires désemparés, à commencer par la France, qui devra s’interroger sur les conditions de sa présence militaire après le retrait américain, et ses concurrents ravis de cette divine surprise. « Partir de Syrie n’est pas une surprise », a répondu le président américain à ceux qui se sont étonnés de sa décision. « Cela fait des années, a-t-il dit, que je fais campagne pour cela ».

L’Amérique d’abord

Il est vrai que Donald Trump n’a jamais caché sa volonté de redéfinir le rôle des Etats-Unis dans le monde en brandissant son slogan favori : America First (l’Amérique d’abord). Pour lui, l’Amérique doit cesser d’être « le gendarme du monde ». Nouvellement élu, il avait ainsi affirmé dans son discours inaugural, le 20 janvier 2017 : « A compter de ce jour, une nouvelle vision gouvernera notre nation : seulement l’Amérique d’abord ».

Au nom de cette vision, qui rappelle les vieilles tentations isolationnistes au XXème siècle, les Etats-Unis entendent se tenir à l’écart des tumultes du monde tant que leurs intérêts nationaux sont préservés. Fini le multilatéralisme qui crée des obligations à l’égard de la « communauté internationale » en insérant le pays dans un réseau de traités et d’institutions qui organise la coopération entre les Etats pour garantir la paix. Place au nationalisme qui laisse à chacun le soin de se défendre et aux Etats-Unis le droit de se libérer de ses engagements, comme l’a montré le président américain par plusieurs de ses initiatives.

Insolubles contradictions

Cette manière de voir a sa logique. Le retrait des forces américaines de Syrie est cohérent avec le programme que défend Donald Trump depuis son arrivée à la Maison-Blanche. On peut juger les décisions du président américain imprévisibles, on ne peut nier qu’elles s’inscrivent dans une doctrine stratégique qui inspire l’ensemble de sa politique étrangère. Le problème est que la vision de Donald Trump est à court terme et qu’elle le place dans d’insolubles contradictions.

Ainsi justifie-t-il le départ des soldats américains par la défaite des djihadistes. « Nous avons vaincu l’Etat islamique », a-t-il déclaré. Affirmation jugée présomptueuse par la plupart des observateurs. Certes l’Etat islamique est affaibli, disent-ils, mais il est loin d’avoir été éradiqué et conserve une capacité de nuisance qui devrait inciter à la prudence ceux qui se vantent de l’avoir défait. Alors que l’intervention de la coalition visait à éliminer les djihadistes, la décision de Donald Trump risque de les remettre en selle. Autre contradiction : après avoir fait de l’Iran son ennemi principal et de la réduction de son influence au Moyen-Orient son objectif prioritaire, Donald Trump rompt apparemment avec cette politique en donnant à Téhéran toute latitude d’accroître son rôle dans la région.

Les Kurdes trahis

« L’Amérique d’abord n’est pas l’Amérique seule », a affirmé un jour le président américain. Encore faudrait-il qu’il respecte ses alliés et renonce à leur infliger camouflet sur camouflet. Les Européens sont les victimes de cette désinvolture. Les Israéliens s’en inquiètent également, même s’ils s’abstiennent de le dire publiquement. Quant aux Kurdes de Syrie, livrés à la vindicte de la Turquie, qui les assimilent à des terroristes, ils peuvent crier à la trahison.

La présence des troupes américaines n’avait pas seulement pour but de combattre l’Etat islamique. Elle visait aussi à contenir les ambitions de la Russie et de l’Iran au Moyen-Orient. Et à protéger les Kurdes, acteurs majeurs de la lutte anti-djihadiste, contre la Turquie.
Le changement de cap auquel vient de procéder Washington est un beau gâchis. Qu’ils le veuillent ou non, face aux menaces et aux périls d’aujourd’hui, les Etats-Unis ne peuvent pas renoncer à peser sur l’ordre du monde.