Trois scénarios d’après-crise

Quel sera l’avenir de la construction européenne quand le calme sera revenu ? De l’effondrement au sursaut, en passant par le statu quo, voici trois hypothèses sur l’Europe de demain.

Les difficultés de la zone euro suscitent une grande inquiétude sur l’avenir de l’Union européenne. Les divergences entre les Etats membres, les suspicions mutuelles, les amertumes des uns et les préventions des autres ont créé un climat peu favorable au renforcement de la solidarité européenne. Certes les Européens ont réussi à s’entendre sur plusieurs plans successifs de sauvetage mais ils l’ont fait à grand peine et sans véritable élan européen. « Trop peu et trop tard », souligne l’ancien commissaire européen Antonio Vitorino, qui préside aujourd’hui l’association Notre Europe, fondée par Jacques Delors.

« Le rythme de décision des chefs d’Etat et de gouvernement est manifestement insuffisant par rapport aux exigences des marchés, ce qui affaiblit leur crédibilité et l’efficacité de leur action », constate l’ancien commissaire portugais. De fait, la crise, qui ne touchait il y a six mois que trois pays – la Grèce, l’Irlande, le Portugal – représentant 6 % du PIB de la zone euro, s’est étendue, à cause du temps perdu, à l’Espagne et à l’Italie, qui représentent respectivement 12 % et 16 % de ce même PIB. L’Europe paraît donc impuissante à enrayer la contagion. Elle laisse voir les limites d’une intégration qui semble insuffisante pour lui permettre de réagir aux événements avec assez de force et de rapidité.

Faut-il en conclure que l’Union européenne sortira affaiblie de la crise ? Ce n’est pas sûr. Car l’urgence l’a obligée à innover pour affirmer sa cohésion et se donner les moyens de sauver ce qui pouvait l’être. Sans doute a-t-elle trop tergiversé, quitte à remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le chantier. Elle a beaucoup tâtonné avant de se résoudre à agir. Mais elle a tout de même avancé, comme le dit Antonio Vitorino, « dans la bonne direction ».

L’effondrement du projet européen

Pour l’avenir, plusieurs scénarios sont possibles. Le premier, le plus sombre, serait l’éclatement de la zone euro, c’est-à-dire, à en croire les déclarations de plusieurs dirigeants européens, l’effondrement du projet européen. L’Europe, qui aspire à devenir un acteur majeur sur la scène internationale, devrait renoncer à son ambition, qu’elle a déjà mise en veilleuse depuis quelques années, en raison de ses profondes divisions. Le retour aux Etats-nations serait le corollaire de cet abandon. Le « chacun pour soi » l’emporterait pour une longue période sur la coordination des politiques.

La défiance croissante des opinions publiques à l’égard de l’Union européenne rend plausible une hypothèse de cette nature, aussi catastrophique qu’elle paraisse à ceux qui veulent encore croire aux vertus de l’unité. Le référendum avorté en Grèce, venant après les échecs des consultations populaires de 2005 en France et aux Pays-Bas, attire une fois de plus l’attention sur le rejet de l’Union européenne par une grande partie de la population.

L’hypothèse de la stagnation

Le deuxième scénario, le plus ambigu, est celui du statu quo, autrement dit d’un blocage de la construction européenne en attendant des jours meilleurs. D’un plan de sauvetage à l’autre, l’Union européenne, sous la direction d’un couple franco-allemand toujours prêt à colmater les brèches, parviendrait à préserver l’euro et à faire vivre une solidarité minimale. Elle se retrouverait en quelque sorte dans la situation qui était la sienne avant la relance des années 80, quand l’Europe communautaire s’était mise en sommeil sous l’effet de la crise.

La coopération entre Paris et Berlin se substituerait, pour l’essentiel, aux institutions bruxelloises pour maintenir l’existant, sans aller plus loin dans l’intégration, sans prétendre non plus intervenir dans les affaires du monde. Ce repli provisoire permettrait à l’Europe de faire le gros dos face aux turbulences financières et économiques, en avançant au ralenti pour éviter les embardées. Le moment venu, le retour espéré de la croissance pourrait, dans le meilleur des cas, comme il y a une vingtaine d’années, relancer le projet européen et redonner confiance aux peuples.

Le scénario du rebond

Le troisième scénario, enfin, le plus optimiste, est celui du grand bond en avant, en dépit ou plutôt en raison des incertitudes d’aujourd’hui. Ce ne serait pas la première fois que l’Europe prendrait un nouveau départ sous la pression de la nécessité. Elle pourrait alors, dans un sursaut d’unité, se doter d’un gouvernement économique, incarné par un ministre des finances commun, et accentuer sa dimension fédérale. Sans doute certains Etats-membres, à commencer par la Grande-Bretagne, choisiraient-ils de rester en dehors de cette nouvelle organisation, rendant inévitable une Europe à deux vitesses.

Ce serait dommage, bien sûr, et tout doit être fait pour sauvegarder l’unité des Vingt-Sept, mais il est probable que l’appartenance à la zone euro deviendra un critère décisif. Cette Europe rénovée sera vraisemblablement plus intergouvernementale que communautaire, la Commission et le Parlement ayant été marginalisés par la crise. Ce sera le prix à payer pour la relance de la construction européenne.

Entre ces trois scénarios, il est, à l’heure actuelle, impossible de trancher, même si l’on serait tenté de parier sur le troisième, tout en redoutant le premier. Ce qui est sûr, c’est que l’Europe traverse une épreuve de vérité qui façonnera son avenir.