Turquie/Europe : les données du débat

Le soutien apporté par Barack Obama à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne et la réplique courroucée de Nicolas Sarkozy ont relancé la controverse sur la candidature turque à l’Union européenne. Rappel des arguments en présence.

Rappelons que tout Etat européen peut devenir membre de l’UE s’il satisfait à trois conditions : des institutions stables, qui garantissent la démocratie et les droits de l’homme, une économie de marché viable, la capacité d’adopter l’ensemble des lois et des normes européennes. Une quatrième condition concerne non le pays candidat, mais l’Union elle-même, qui doit démontrer sa « capacité d’absorption », c’est-à-dire son aptitude à assimiler de nouveaux membres. A supposer que la Turquie, au terme des négociations engagées avec l’UE, remplisse les trois premières conditions, il lui faudra encore répondre à ce quatrième critère.

Le débat tourne autour de trois grandes thématiques. La première est de nature géopolitique, pour ne pas dire géographique. La question n’est pas tellement de savoir si la Turquie est un « Etat européen ». C’est en partie affaire de convention. Après tout, Chypre, qui n’est pas en Europe, est devenue membre de l’UE et la Turquie, dont une fraction du territoire est européenne, a été admise au Conseil de l’Europe, l’organisation qui a précédé la Communauté européenne.

Non, la question est plutôt de savoir si la Turquie appartient au même espace géopolitique que les pays européens. Autrement dit, si on croit au rôle des groupements régionaux dans la gouvernance mondiale, ne serait-il pas logique que la Turquie se tourne vers ses voisins du Caucase, du Moyen-Orient, voire d’Asie centrale, plutôt que vers l’Europe ? Il pourrait sembler normal, en effet, que se constitue un pôle moyen-oriental dont elle serait le moteur. Nicolas Sarkozy a lui-même proposé cette idée en lançant l’Union pour la Méditerranée.

La deuxième thématique est d’ordre culturel. La Turquie, dira-t-on, appartient à une autre aire culturelle que l’Europe, elle n’a ni la même histoire ni les mêmes valeurs, elle est étrangère à « l’esprit européen ». La grande différence, bien sûr, c’est l’Islam. Il n’est pas encore prouvé, selon les opposants à l’adhésion, que les principes de l’Islam sont pleinement compatibles avec la démocratie, le respect des droits de l’homme et surtout de la femme, ou le respect des autres religions.

Troisième thématique, d’ordre politique. La Turquie, explique-t-on, avec ses 70 millions d’habitants, va déséquilibrer l’Union européenne, elle sera le deuxième Etat par sa population, derrière l’Allemagne, et bientôt le premier, du fait de sa démographie. L’entrée d’un pays aussi puissant risque de nuire à la cohésion de l’Union et rendre moins crédible la perspective d’une Europe communautaire.

Mais on peut retourner ces trois arguments. La place de la Turquie aux frontières orientales de l’Europe et ses liens avec les Etats d’Asie centrale ou du Moyen Orient, loin d’être un handicap, peuvent être considérées comme un atout pour l’Union européenne. Grâce à la Turquie, celle-ci sera appelée à s’ouvrir sur le monde musulman et à favoriser le dialogue plutôt que le choc des civilisations.

Quant à la différence culturelle, elle ne doit pas faire oublier que la Turquie a choisi la voie européenne de la laïcité et qu’elle a adopté, depuis la chute de l’empire ottoman, une partie des valeurs de l’Occident. Son entrée dans l’Union peut apparaître comme une chance de concilier l’Islam et la modernité.

Enfin, la puissance de la Turquie n’est pas nécessairement une menace pour l’UE. Elle peut au contraire contribuer à renforcer son poids dans le monde. La Turquie dispose d’une armée forte, qu’elle a mise au service de l’Occident pendant la guerre froide, elle va offrir aux Européens un marché économique en expansion, malgré la crise.

Bref, loin de freiner le dynamisme de l’Europe, elle peut le stimuler.

Avec la Turquie, l’Europe sera sans doute moins unitaire. Elle s’éloignera de son vieux rêve fédéral. Selon les partisans de l’adhésion turque, c’est le prix à payer pour que l’Europe pèse davantage dans les affaires du monde.