UE-Turquie : négociations au ralenti

Bruxelles et Ankara ouvrent un nouveau chapitre dans les pourparlers d’adhésion, consacré à l’environnement. Mais les chapitres les plus importants sont toujours gelés. La récente interdiction d’un parti politique par la justice turque jette la suspicion sur les progrès de la démocratie en Turquie.

Les négociations d’adhésion entre l’Union européenne et la Turquie ne sont pas rompues, mais elles avancent au ralenti. Onze chapitres de l’acquis communautaire sur trente-cinq ont été ouverts depuis que les discussions ont commencé en octobre 2005. Un seul a été fermé, celui qui porte sur les sciences et la recherche. Les Vingt-Sept viennent de s’entendre pour ouvrir, lundi 21 décembre, un douzième chapitre, consacré à l’environnement. Mais on est loin du compte.

L’UE a décidé qu’aucun chapitre ne serait clôturé tant que la Turquie n’accepterait pas d’accueillir des navires et des avions chypriotes dans ses ports et ses aéroports. De plus, l’ouverture de huit chapitres est gelée pour la même raison. La France, de son côté, qui plaide pour un partenariat privilégié, et non pour une adhésion pleine et entière, bloque cinq chapitres – politique monétaire, politique régionale, agriculture, budget, institutions – dont l’adoption présupposerait, selon elle, l’entrée de la Turquie dans l’UE. Bref les perspectives demeurent incertaines. On ne perçoit ni du côté des Européens ni du côté des Turcs de volonté réelle de surmonter les obstacles.

L’interdiction du Parti pour une société démocratique

Du côté de Bruxelles, on continue d’inviter la Turquie à « accélérer le rythme des réformes ». L’UE salue les « pas positifs » accomplis par Ankara dans les domaines de la justice et des relations entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire mais estime que de nombreux efforts sont encore nécessaires, en particulier en matière de liberté d’expression, de liberté de la presse, de liberté religieuse, de respect des droits des minorités, des syndicats, des femmes. Ces formules sont devenues rituelles dans les communiqués des Vingt-Sept. Elles indiquent que rien ne progresse vraiment d’une réunion à l’autre.

Du côté d’Ankara, l’interdiction par la Cour constitutionnelle, vendredi 11 décembre, du DTP (Parti pour une société démocratique), seul parti parlementaire pro-kurde, n’est pas faite pour rassurer les Européens. Les efforts du gouvernement turc en direction des Kurdes, encouragés par Bruxelles, sont réduits à néant par cette décision, qui frappe des Kurdes modérés, dont le chef, Ahmet Türk, désormais interdit d’activités politiques pendant cinq ans, venait de rencontrer Barack Obama à Istanbul.

Accusé de collusion avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), dont le chef, Abdullah Ocalan, a été condamné à la prison à vie pour terrorisme, le DTP représentait la principale passerelle politique entre le pouvoir turc et la communauté kurde. Même s’il renaît sous un autre nom, comme il en a l’habitude, sa dissolution porte un coup à « l’ouverture démocratique » tentée par le premier ministre Recep Tayyip Erdogan.

L’armée, les juges, la police

Les Vingt-Sept ont aujourd’hui quelques raisons de douter des progrès de la démocratie en Turquie. Trois intellectuels turcs, invités par le CERI (Centre d’études et de recherches internationales) à débattre, mercredi 16 décembre à Paris, de la situation en Turquie, ont fait part de leur scepticisme face à l’évolution des trois grandes institutions mises sur la sellette par Bruxelles : l’armée, la justice et la police.

L’armée, a expliqué Ali Bayramoglu, journaliste au quotidien Yeni Safak, continue d’être au centre de l’appareil étatique. Elle monopolise toutes les attributions dans le domaine de la défense et fixe le cadre de toutes les décisions politiques importantes. Il est vrai qu’elle a perdu une partie de sa crédibilité à la fois de par ses échecs face à la rébellion kurde et de son impuissance à empêcher en 2007 l’élection d’Abdullah Gül à la présidence de la République. Mais la démilitarisation de l’Etat est encore loin d’être acquise.

Les juges, selon Levent Köker, de l’Université Gazi, sont toujours soumis au pouvoir politique, en dépit des affirmations contraires de la Constitution. Non seulement ils dépendent, pour une part, du gouvernement dans l’exercice de leurs missions, mais en outre ils ont intériorisé une culture juridique qui fait d’eux les gardiens de l’Etat plus que les gardiens du droit. La dissolution du DTP apporte une preuve supplémentaire de cet état d’esprit.

La police enfin, a souligné Aysu Uysal, de l’Université Dokuz Eylül Izmir, tient les défenseurs des droits de l’homme pour ses ennemis et se considère comme la garante de la sécurité de l’Etat. Les manifestations d’opposants sont réprimées avec brutalité. Le recrutement et la formation des policiers favorisent cette « culture professionnelle ». Certaines réformes ont été entreprises mais, selon Mme Uysal, elles consistent le plus souvent à faire « un pas en avant, deux pas en arrière »

Alors que les Européens s’inquiètent du ralentissement de la démocratisation en Turquie, celle-ci s’estime injustement traitée par l’UE, dont certains pays, à commencer par la France, freinent le processus d’adhésion. Il faudra du temps pour mettre fin aux malentendus. Si l’entrée de la Turquie dans l’Union reste à l’ordre du jour, l’échéance semble lointaine.