Les mesures d’expulsion prises contre les Roms ont suscité une nouvelle querelle entre Paris et les institutions européennes. Nicolas Sarkozy paraît décidément incapable d’entretenir des relations sereines avec deux des principaux organes de l’Union : la Commission et le Parlement. Sur ce dossier comme sur d’autres, la méfiance et l’incompréhension continuent d’opposer Paris aux « eurocrates » de Bruxelles. Ceux-ci s’inquiètent, plus ou moins ouvertement, des libertés que prend la France, selon eux, avec les règles européennes. Les dirigeants français, de leur côté, semblent persuadés que l’UE s’emploie à contrarier systématiquement leur politique.
La « préoccupation » de la Commission
La première réaction du gouvernement français, face à l’émotion suscitée par la stigmatisation des Roms, a été de se tourner vers la Commission pour tenter d’ « européaniser » son action. Mais celle-ci, par la voix de Viviane Reding, la commissaire à la justice et aux droits fondamentaux, a aussitôt fait part d’ « une certaine préoccupation » face aux méthodes françaises. « Personne ne devrait être expulsé juste parce qu’il appartient à la communauté des Roms », a-t-elle déclaré. La Commission s’interroge encore sur la compatibilité de ces expulsions avec le droit européen. Elle entend que soient respectées les dispositions concernant les garanties procédurales, la non-discrimination ou le caractère volontaire des retours.
La démarche de François Fillon auprès de la Commission a pu aussi être interprétée comme une critique, celle-ci étant implicitement accusée de ne pas s’être suffisamment mobilisée en faveur des Roms. Or la Commission n’est pas restée inactive ces dernières années sur ce sujet. Elle a fait adopter par les Etats des directives sur l’égalité entre les personnes et sur la lutte contre les discriminations dans l’emploi, qui s’appliquent aux Roms. Elle a produit une série d’études, de rapports, de documents de travail pour informer et sensibiliser les gouvernements. Surtout elle a débloqué des sommes importantes, issues de divers fonds structurels et de divers programmes, pour prêter assistance à ces populations.
Ces moyens peuvent encore être augmentés mais c’est aux Etats qu’il appartient d’en faire usage. La Commission a rappelé récemment qu’elle s’engage à soutenir les actions en faveur des Roms mais que les politiques d’intégration, « par l’éducation, l’emploi, l’aide sociale, la santé, l’égalité hommes-femmes, la construction d’équipements et l’aménagement urbain », sont principalement du ressort des Etats membres.
Sans doute la Commission a-t-elle tardé à prendre conscience de la gravité de la situation, mais la question ne s’est réellement posée qu’après l’adhésion des anciens pays communistes en 2004 et surtout, pour la Bulgarie et la Roumanie, en 2007. Il est vrai aussi que la Commission a un rôle à jouer pour s’assurer que les fonds versés aux Etats concernés sont bien utilisés aux fins prévues. Elle n’a pas manqué de s’étonner que la France consacre à l’intégration des Roms une faible part des fonds européens qui lui sont attribués.
Les critiques du Parlement européen
L’autre « adversaire » du gouvernement français est le Parlement européen. En demandant à la France de renoncer aux expulsions et en condamnant fermement cette politique, les députés européens sont-ils sortis de leur rôle, comme le soutient Paris ? Ce serait ignorer que l’adoption de résolutions est une pratique courante au Parlement européen et que la question des droits de l’homme revient systématiquement dans ses débats. Le « pouvoir de délibération » reconnu au Parlement européen lui permet notamment de « prendre des initiatives en marge des pouvoirs qui lui sont reconnus par les traités » et de « s’affirmer vis-à-vis des opinions publiques européennes et internationales comme un forum d’expression et de réflexion sur les sujets les plus divers » (Olivier Costa et Florent Saint-Martin, Le Parlement européen, La documentation française, 2009).
Il est vrai que ces votes n’ont aucune conséquence pratique puisque les gouvernements ne sont pas tenus de se plier aux résolutions adoptées. La prétention du Parlement européen à intervenir sur toutes sortes de questions qui ne relèvent pas directement de ses prérogatives est souvent critiquée. Sans doute l’exercice de cette fonction tribunitienne a-t-il servi à compenser la faiblesse des pouvoirs législatifs attribués aux eurodéputés avant que les traités ne leur confèrent des compétences accrues. Il n’en contribue pas moins à faire entendre, à travers eux, la voix de l’Union européenne. Même si les textes votés sont sans portée juridique, ils ne sont pas sans portée politique. Les Etats ont donc tout intérêt à en tenir compte.